Sous le sable
Benoît Jacquot, cinéaste libre et insaisissable… Après avoir brillamment réalisé deux « films en costumes » adaptés de romans qu'on qualifiera de classiques, Les Adieux à la Reine d'après Chantal Thomas (disponible en Vidéo en poche), et Le Journal d'une femme de chambre d'après Octave Mirbeau, s'appuyant tous deux sur l'autorité montante de Léa Seydoux, le cinéaste change totalement de registre et d'actrice : Julia Roy, au centre de ce nouveau film puisque non seulement elle tient le rôle central mais c'est elle qui a écrit le scénario, adapté d'un roman du réputé inadaptable Don DeLillo. Le résultat est un pur film d'ambiance, mystérieux et inquiétant, peuplé de non-dits et de zones d'ombre.
Rey est cinéaste. Il assiste, accompagné de son actrice fétiche et amante Isabella (incarnée par Jeanne Balibar) à une projection dans le cadre une rétrospective qui lui est consacrée dans une sorte de centre culturel. (En réalité le Centre culturel de Belém de Lisbonne). En attendant la fin de la projection, il erre dans le centre, entre dans une petite salle où il est impressionné par la performance d'une jeune actrice, seule en scène. Plantant là son public et sa compagne, il la suit à la fin de son spectacle. Elle s’appelle Laura, elle est beaucoup plus jeune que lui. Elle est belle et intense. Il est charmant et brillant. Elle le fascine, il la séduit. Ils tombent amoureux et se marient, vite. Ils s'installent dans une grande maison, à la fois froide et accueillante, retirée au bord de la mer. Décor splendide, repéré au Portugal où le film a été tourné (c'est Paulo Branco, grand producteur lusitano-français à qui on doit entre autres pas mal de films de Raul Ruiz, dont le mémorable Les Mystères de Lisbonne, qui a produit le film).
Des mois passent, une relation un peu tordue, déséquilibrée, se construit entre les deux jeunes époux. Rey cherche de l'argent pour tourner son prochain film, se consacre à son travail, il est peu disponible pour Laura, qu'on sent parfois un peu perdue. Les échanges entre eux se raréfient. Et puis, brutalement, Rey meurt dans un accident de moto.
Laura se retrouve seule dans cette maison, trop grande et trop chère pour elle. Elle y vit presque recluse. A l’expérience en même temps cinglante et douce du deuil, elle découvre un être étrange, homme enfant au phrasé imparfait, dont le visage et le corps sont ceux de Rey. Et puis dans sa voix elle croit entendre peu à peu non seulement la sienne à elle mais celle de Rey, puis leurs voix conjuguées. A travers ce personnage/fantôme/fruit de son imagination se rejouent les mots, les gestes du couple avant la mort et Laura y trouve une sorte de fascination qui la libère…
La mise en scène de Jacquot est d'une précision remarquable, éclairages, cadrages, mouvements de caméra, créant un univers à la fois quotidien et profondément étrange qui finit par devenir tout à fait déstabilisant. Mathieu Amalric est parfait, on a l'habitude. Julia Roy est une vraie découverte, à la fois lumineuse et douloureuse, investie corps et âme dans ce projet dont il apparaît clairement qu'elle a été le moteur.