La damnation de Faust
Le froufrou du vent qui secoue le linge en train de sécher, la fraîcheur de l'eau qui ruisselle sur les corps, la douceur des mains qui frottent inlassablement le linge, l'odeur du bois que l'on fend… En quelques traits minimalistes, voilà un océan de sensualité qui s'ouvre à nous. C'est toute la magie de ce magnifique film d'animation atypique où tout est suggéré à la façon de certaines estampes à l'encre de Chine. La maestria du dessin est enchanteresse : l'image se fait vibrante, le trait terriblement vivant. On ne cesse d'être impressionné par les effets que peuvent créer un simple pinceau sur une tout ordinaire page blanche. Dès lors, il n'y a qu'à se laisser porter par ce conte philosophique dont la morale (quasiment anticapitaliste), pourtant venue de temps lointains, semble toujours d'actualité.
Il était une fois un pauvre meunier, travailleur honnête et courageux. Mais l'eau du ruisseau qui alimentait son moulin cesse soudain de couler, de telle sorte qu'il ne peut plus moudre et que progressivement la maisonnée s'appauvrit toujours plus. Un jour, alors qu'il arpente la forêt à la recherche de quelques vivres, lui apparaît un étrange personnage au port imposant, qui lui promet la richesse éternelle. À cela une seule condition : que notre bonhomme lui donne « ce qui se trouve » derrière sa bicoque. L'appât du gain fait vite oublier toute prudence au miséreux qui conclut trop vite le marché, pensant qu'il n'y a guère qu'un pommier à perdre dans ce marché de dupe. Il oublie que dans les branchages de cet arbre accueillant, son unique fille aime à se prélasser… Il ne sait pas qu'il vient de vendre le fruit de sa chair au diable !
Quand il s'en revient à la maison, une eau dorée coule à flot. Au lieu d'être ravie par le phénomène, sa femme l'observe, inquiète, pressentant une intervention démoniaque et murmurant : « Cet or est si brillant et pourtant il me semble si sale… ». Elle questionne son mari, le supplie de rompre le pacte… En vain…
Le temps passe. Plus il passe, plus le domaine prospère, l'humble masure s'est transformée en palais tape à l'œil et imposant, comme tous ceux des nouveaux riches parvenus. Le démon ne se manifeste pas pour réclamer son dû, comme pour laisser le modeste meunier pendre goût à cette richesse mal acquise, le lier chaque jour un peu plus. Le père change de comportement et devient peu à peu méconnaissable, oublieux des valeurs, des enseignements qu'il professait jadis. Toujours plus aveuglé par le luxe, toujours plus vorace et cupide. Seules la mère et sa progéniture restent inquiètes, redoutant l'épée de Damoclès qui infailliblement viendra anéantir leur bonheur.
Comme on s'en doute, un jour le Malin se présente sous une nouvelle forme, mais ce n'est là que le début d'une incroyable épopée.