Manchester-by-the-Sea, Massachusetts
C’est bien depuis la mer qu’il faut découvrir Manchester by-the-Sea, Massachusetts, petite ville côtière des Etats-Unis repérable sur la carte à quelques centimètres de Boston. Depuis la mer, tout paraît calme et serein : les bateaux de pêche vont et viennent, les résidences plantées au bord de l’eau semblent couler des jours indéfiniment paisibles, même les bâtisses industrielles du port, couleur rouge brique, semblent s’intégrer avec élégance au paysage. Depuis la mer, Manchester by-the-Sea est une ville où il fait bon vivre, une ville où l’on naît et où l’on meurt, sans l’once d’un regret de n’en être jamais parti, sans avoir eu l’envie ni le goût d’un ailleurs tant la vie ici semble belle et simple. Depuis la mer, la vue d’ensemble décrit des courbes et des couleurs en parfaite harmonie avec les hommes… mais depuis la mer, les hommes, on les distingue à peine, silhouettes frêles en mouvement dont on ne soupçonne pas les visages, dont on n’imagine pas les fêlures, dont on ne voit ni les sourires ni les larmes.
Lee Chandler a quitté Manchester by-the-Sea, la ville de son enfance, là où il aurait dû vivre heureux et puis vieillir. Il a quitté ses amis, sa famille, son frère, son neveu pour s’installer dans une métropole, Boston, dont on comprend vite qu’elle lui apporte les deux seules choses qu'il semble désormais désirer : l’anonymat et un boulot alimentaire, en l’occurrence concierge à tout faire. Pendant qu’il répare les toilettes, vide les poubelles, déneige les allées, visse ou repeint, Lee n’a pas trop le temps de penser aux raisons qu’ils l’ont poussé à partir loin de Manchester. On imagine assez vite, par son regard perdu dans le vide d’une profonde solitude, par son air détaché de tout et de tous, que Lee a vécu un drame. Un drame dont on ne revient pas vivant. On peut dire que Lee est un homme déjà mort, en sursis forcé en attendant l’ultime délivrance.
Mais Lee va devoir revenir à Manchester, retrouver ce qu’il reste de sa famille, retrouver le clapotis de l’eau sur la coque increvable du bateau de pêche de son frère, retrouver les embruns marins et la saveur amère du bonheur disparu. Il va aussi faire la connaissance d’un jeune garçon qu’il avait laissé enfant : Patrick, son neveu.
Manchester by the sea, c’est une tragédie grecque portée par une chanson de Dylan, c’est l’Amérique laborieuse qui vit au rythme des saisons, des naissances et des enterrements, c’est aussi le portrait d’une famille morcelée par les drames et celui d’une communauté humaine simple et bienveillante. Mais plus que tout, c’est le portrait touchant de Lee, admirable Casey Affleck, un homme qui n’aura d’autre choix que celui de vivre.
Construit sur de nombreux flash-back qui, loin de lasser le spectateur, écrivent en filigrane et avec beaucoup de délicatesse les chapitres sombres ou solaires de la vie de Lee, c’est un film qui ressemble à ces paysages de bord de mer : sous la sérénité et le calme apparent peut surgir au moindre instant la tempête qui emporte tout, le toit des maison comme le bonheur éphémère du cœur des hommes.