Une neurobiologiste tout ce qu'il y a de sérieuse a découvert que l'amour ne durerait que trois ans, le temps à un homme et une femme de tomber raide frappadingue et de procréer. Un état de grâce conditionné par la fabrication de l'ocytocine, fameuse hormone du plaisir, produite en grande quantité par le cerveau amoureux puis déclinant tristement au fil des mois pour sceller la fin du roman, de la belle histoire. Amour ne rimerait donc pas avec toujours… La fulgurance du début, cet état de grâce où l'autre est tellement tout qu'on en oublie les défauts qui font tache dans le tableau, s'effilocherait comme un vieux pull en laine pour finir collé dans un album photo oublié dans le tiroir du bas de la commode de famille… c'est moche.
Et bien, sachez-le, réjouissez-vous : il ne faut pas croire les scientifiques, c'est faux archi-faux, totalement faux et j'en ai la preuve : Madame et Monsieur Adelman !
Quand Victor, écrivain qui se cherche encore beaucoup, croise Sarah, étudiante en lettres et grande bringue brune à lunettes, on ne peut pas vraiment dire que c'est le coup de foudre. Il est très autocentré, en pleine crise artistico-existentielle et n'a que faire de cette fille qu'il ne trouve même pas canon. Il est en plus persuadé que c'est le genre d'intello castratrice qui va lui couper net tout élan créatif. Non, aucun intérêt cette fille, et puis Victor a déjà bien du mal à gérer ses petits tracas : sa psychanalyse à rallonge, son frère qui vote à droite, sa mère alcoolique amoureuse de son Yorkshire et son grand bourgeois de père (Pierre Arditi : exquis).
Dans le genre intello, Sarah se pose un peu là, mais avec une certaine fraîcheur, l'air de rien de la fille qui se sait brillante mais qui l'est bien trop pour en mettre plein la vue. Sarah quant à elle, sait immédiatement que sa vie toute entière tournera autour de ce gars là, il y a d'intimes convictions qui n'ont besoin d'aucune garantie sur l'avenir pour exister… Et comme l'écrira un peu plus tard Victor : « N'en déplaise à certains, on rencontre parfois l'amour irrémédiable. » L'amour irrémédiable, celui auquel on n'échappe pas, celui qui vous poursuit, celui qui parvient toujours à ses fins.
Nous sommes à la fin des années soixante-dix, on porte des pantalons et des coupes de cheveux improbables, on vit légers sans téléphone portable et Victor et Sarah, après s'être vaguement cherchés, vont enfin se trouver. Elle sera sa muse, sa plus fidèle lectrice, son intarissable source d'inspiration, son carburant, sa dope, sa came, sa raison d'être et d'écrire… Il sera son homme, son ami, son compagnon de route, son auteur préféré, son refuge, son paysage en technicolor et mieux que tout cela : le complice de chaque instant de grâce que la vie fabrique quand on la parcourt à deux. Sur 45 année, une véritable Odyssée !
Les années passent, le succès arrive enfin, puis un premier enfant qui porte tous les espoirs mais ne sera pas tout à fait à la hauteur de la mission, le pauvre (ça c'est pour la partie cynico-grinçante du film et c'est assez drôle quoiqu'un peu méchant), et puis encore le succès… et puis les biens matériels qui vont avec, l'énorme maison statutaire, le petit personnel (mais si mais si, on peut voter à gauche et avoir du personnel de maison, ça s'appelle la gauche caviar) et puis le ronron, et puis l'endormissement, la fin des flonflons… et là, vous n'y comprenez plus rien, vous relisez le début de ce texte et non, vous n'avez pas rêvé : on y disait bien que l'amour était éternel…
Et bien oui, il le sera, avec ses hauts, ses bas, ses mesquineries, ses parenthèses, ses à côté, ses entorses aux promesses et ses petits arrangements avec les idéaux, ceux du couple, de la famille et du peuple de gauche. Écrit à quatre mains avec un sens aigu du rythme et un penchant naturel pour les dialogues qui font mouche, Monsieur & Madame Adelman est une comédie romantique très drôle autant qu'un hommage appuyé à toutes les muses, à toutes les amoureuses, les célèbres, les discrètes, les anonymes, vous, moi.