Elle est grande, élancée, élégante avec ses costards, ses talons, ses jolis chemisiers blancs dont elle n'arrête pas de changer, asséchant ses aisselles pour être toujours impeccable, chassant cette horrible odeur humaine qui pourrait altérer l'image qu'elle se donne de dure performante. Émilie est prête à tout pour grimper les échelons des responsabilités dans une entreprise qu'elle a dans la peau, ambitieuse et sans faille. Elle a un regard magnifique, qu'elle a réussi à dompter, ne laissant rien paraître de ses émotions, battante, terrible, glacée. C'est que, parmi les rouages qui activent cette grosse boite anonyme semblable à plein d'autres, où les dirigeants ne communiquent avec leurs cadres que par Skype, elle occupe un rôle prééminent d'encadrement du personnel, sous la houlette d'un DRH charmeur (Lambert Wilson) qui lui confie les missions délicates, flatte son côté « killeuse » de choc, lui jurant qu'elle est la meilleure, lui demandant toujours davantage.
Surtout pas de licenciement ! C'est la consigne : ici, on pousse celle ou celui dont on veut se débarrasser au découragement, on lui impose des mutations impossibles à accepter, des objectifs impossibles à atteindre, des consignes contradictoires. Connaître les points faibles, le détail de la vie privée qui permet de manœuvrer jusqu'à ce que la personne harcelée jette l'éponge et parte d'elle-même...
Dans des espaces déshumanisés de bureaux vitrés et d'open spaces clean résolument modernes, les salariés sont sur la défensive : être le meilleur, être au top, guetter l'intention cachée, deviner d'où vient le vent... Même les relations qui se tissent autour des espaces de pause ne parviennent pas à dissimuler l'angoisse chronique qui pousse chacun à surveiller l'autre de peur qu'il grignote votre place. Le DRH à la voix chaude pilote l'équipe d'encadrement, met la pression, laisse le sale boulot aux autres... et quand se profile une enquête suite au suicide d'un employé poussé à bout, Émilie réalise vite qu'elle risque de passer du rôle de première de la classe à celui de fusible, et que la direction et ses représentants n'auront aucun état d'âme à lui faire porter la responsabilité du problème pour éviter que l'entreprise ne soit éclaboussée, sans qu'aucun des salariés ne viennent à son aide tant elle s'est isolée... Dès lors, il n'y aura pas d'autre solution pour elle : si elle veut sauver sa peau, il va falloir qu'elle y mette les moyens, quitte à jouer sa « carrière », quitte à se montrer plus cynique que les cyniques qui l'ont mise dans cette impasse.
C'est mené comme un polar, une histoire pleine de suspense qui n'est pas sans faire penser à la série de suicides qui avait frappé France Télécom. « J'avais été particulièrement choqué par le cynisme du PDG d'alors, déclarant qu'il fallait mettre un terme à cette “mode de suicides”... comme si c'étaient ceux qui souffrent qui étaient responsables » dit Nicolas Silhol. La personnalité de l'inspectrice du travail qui mène son enquête, mélange de dureté et d'empathie, colle bien avec son rôle et si elle est inflexible quant à l'application de la règle, elle est pour Émilie la perspective d'un autre choix possible, l'occasion de casser l'armure comme on dit. Si la ligne d'horizon d'Émilie est son intérêt personnel avant tout, sa rage d'être lâchée par ses supérieurs va lui donner l'énergie de renverser la vapeur avec la même détermination qu'elle mettait à accomplir son rôle de tueuse... Rien n'est si simple ici, et c'est bien pour cela que le film passionne : suspense pour suspense, la fiction est d'autant plus prenante qu'elle est solidement ancrée dans la réalité.