Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc TP

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Domrémy, 1425. Jeannette n’est pas encore Jeanne d’Arc, mais à 8 ans elle veut déjà bouter les Anglais hors du Royaume de France.
Inspirée des écrits de Charles Péguy, la Jeannette de Bruno Dumont revisite les jeunes années d’une future sainte sous forme d’un film musical à la BO électro-pop-rock signée Gautier Serre, alias Igorrr et aux chorégraphies signées Philippe Decouflé.

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QUINZAINE DES RÉALISATEURS 2017

Opéra cinématographique

Après s’être frotté au burlesque, Bruno Dumont opère un de ces virages qu’affectionne Edouard Waintrop, en abordant la comédie musicale, tout en se réappropriant les codes du genre. "Tout le monde sait que la musique peut être à la fois intense et infinie, un mode d’expression tellement instantané que j’ai décidé d’en faire l’élément central d’un film." Le long métrage conte la jeunesse de Jeanne d’Arc, en prenant appui sur Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc de Charles Péguy, utilisé par Dumont comme un véritable livret. Pour la musique, il est allé chercher vers le metal et l’électro pop rock en collaboration avec Gautier Serre (Igorrr). Philippe Decouflé en signe la chorégraphie. "L’énergie furieuse de l’électro et ses effets psychédéliques m’ont convaincu que c’était le registre le mieux adapté pour transformer le texte de Péguy, l’amener à un paroxysme. Péguy et Igorrr se situent en somme dans la même veine. La plus grande difficulté a été de convaincre de mettre sa musique au service d’un projet qui lui semblait éloigné de son univers." Fidèle à ses habitudes, Dumont a fait appel à des non-professionnels. "Les actrices sont originaires de Calais et Boulogne-sur-mer, et des environs des lieux de tournage. Elles ont été recrutées selon leur âge et leur capacité de chanter et danser. Je les ai choisies en me basant sur des improvisations qu’elles ont faites lors des tests, en chantant des passages du texte de Péguy."

« Adieu, Meuse endormeuse et douce à mon enfance, Qui demeures aux prés, où tu coules tout bas. Meuse, adieu : j’ai déjà commencé ma partance En des pays nouveaux où tu ne coules pas. Voici que je m’en vais en des pays nouveaux : Je ferai la bataille et passerai les fleuves ; Je m’en vais m’essayer à de nouveaux travaux, Je m’en vais commencer là-bas des tâches neuves. » (Jeanne D'Arc à Domrémy, Charles Péguy)
Si Bruno Dumont n'existait pas, il faudrait d'urgence l'inventer, tant il fait souffler à lui tout seul sur le cinéma français le vent insolent de la liberté, de la créativité, de l'audace et (c'est plus récent, depuis P'tit Quinquin et Ma Loute, disponible en Vidéo en Poche) de la fantaisie. Ce nouveau film, vision inénarrable de l'enfance de Jeanne d'Arc et réalisé pour Arte, en apporte une nouvelle preuve. Comme toujours avec Dumont, Jeannette ne fera pas l'unanimité, en déroutera plus d'une, en énervera plus d'un. Pour notre part, nous avons été emballés.
Sur l'écran nos yeux ébahis découvrent, au milieu d'une campagne désolée, une comédie musicale dans laquelle des nonnes scandent des vers de Charles Péguy sur un fond musical mixant la musique baroque et le heavy metal symphonique, dodelinant la tête de bas en haut tels des visiteurs du célèbre Hellfest.
À la genèse de ce film complètement fou, il y a la découverte, par le cinéaste bressonien qui laisse cours de plus en plus libre à son humour, des deux recueils consacrés à la petite vierge combattante lorraine par l'écrivain Charles Péguy, un autre lascar fort peu conventionnel. Tour à tour socialiste libertaire et dreyfusard, Péguy se convertit au catholicisme et au nationalisme mystique. Pour lui et pour Dumont, Jeanne d'Arc est le symbole de la résistance solitaire face aux clercs et aux dominants vendus aux Anglais qui régnaient alors sur une grande partie du royaume de France.
Pour porter à l'écran cette chanson de geste qui aurait pu être rédigée dans la tradition médiévale 500 ans auparavant, et qui évoque en deux volumes l'enfance et l'adolescence de Jeanne peu avant sa prise d'armes, Bruno Dumont a choisi la simplicité et son contraire. Des décors dépouillés qui n'ont rien à voir d'ailleurs avec la Meuse natale évoquée dans les vers de Péguy puisque tournés dans les mêmes décors que Ma Loute, ceux de la baie de la Slack au bord de la Manche. Des conversations entre Jeanne, son amie Hauviette et Gervaise, une nonne doublée de sa jumelle… Et en contrepoint baroque et foldingue, la chorégraphie du touche-à tout Philippe Découflé et la musique du génialement improbable Igorrr. Avec plusieurs moments d'un grand burlesque (notamment quand l'oncle impayable de Jeanne, complice de sa fuite, se met à slamer) et autant de grande poésie.