Le réalisateur chinois Wang Bing revient au Festival de Locarno (après avoir fait partie du jury de la Compétition Internationale l’année passée) avec un film empreint de délicatesse et de désespoir. Coproduit par la France et l’Allemagne, Mrs. Fang (en Compétition Internationale) poursuit le dialogue sur les gens de tous les jours auxquels Wang Bing est intimement lié. En effet, le réalisateur est inlassablement à la recherche du sublime qui se cache dans le quotidien d’une vie apparemment banale.
Dans son dernier film, Wang Bing a décidé de nous offrir les derniers moments de vie de Fang Xiuyan (Mrs. Fang précisément), une paysanne née à Huzhou (Fujian) à la fin des années 1940 qui souffre de la maladie d’Alzheimer depuis longtemps. Le réalisateur a rencontré pour la première fois en 2014, la fille de madame Fang qui l’a invité chez sa mère l’année suivante. La rencontre avec cette dame, déjà très malade, a profondément marqué le réalisateur qui n’a pas quitté son chevet depuis qu’il a été informé, en 2016, de la dégradation de son état de santé, bien décidé à rendre poétiques ses derniers instants, donnant ainsi voix à de nombreuses personnes comme elle, qui aiment la vie en marge d’une Histoire qui semble les avoir oubliées. Mis à part, les gens de tous les jours, étouffés par une politique extrêmement conservatrice que dépeint Wang Bing prennent une petite revanche personnelle à l’écran, devenant, même pour un instant seulement, les protagonistes de leur propre vie. Dans ce sens, Mrs. Fang se transforme en un symbole de toute une partie de la population chinoise qui, victime d’une logique de confinement, se retrouve enfermée dans un espace toujours plus étroit. Fang Xiuyan, emprisonnée tant territorialement (dans sa province, dans sa chambre, dans son lit), que physiquement (ses yeux sont pratiquement l’unique partie de son corps qu’elle peut encore bouger), semble prendre l’apparence d’un poisson hors de l’eau, sur la berge qui l’a vu naître ; le même poisson que ses fils tentent régulièrement de pêcher lors d’une nuit presque surréelle, mais que personne n’a le courage de tuer. Grâce à une série impressionnante de plans fixes sur le visage de cette malade presque à bout, Wang Bing prend le rythme extrêmement lent des mouvements de sa protagoniste, restant fidèle à son histoire. Une vérité qui n’est certainement pas abordée dans la discussion de famille qui se tient autour d’elle, mais bien une vérité cachée au fond de son corps, dans son regard désespéré, dans ces mouvements imperceptibles qui semblent désormais résumer toute sa vie. Wang Bing utilise les derniers gestes de madame Fang pour écrire une poésie visuelle d’une rare intensité : désespérée et sublime. Incapables, jusqu’à ses derniers moments, d’exprimer leur douleur, les proches de Mrs. Fang, tout comme elle, intériorisent tout, à l’image d’un coffre-fort. Les larmes, rares et discrètes, n’arrivent qu’à la fin, comme une légère rosée à l’aube d’une nouvelle journée.
Avec Mrs. Fang, Wang Bing nous donne une grande leçon de cinéma, mais aussi d’humanité, confirmant sa place de véritable maître de la narration du réel.