C'est une sorte de Captain Fantastic en moins glamour, en plus brut de décoffrage. Un Captain Fantastic ancré au cœur de l'Amérique profonde. Un Captain Fantastic sans Viggo Mortensen mais avec Woody Harrelson, ce qui veut tout dire: incontestablement moins sexy mais probablement plus réaliste. D'ailleurs le scénario est tiré du livre autobiographique de Jeannette Walls, chroniqueuse mondaine dans le New York huppé des années 1980, qui raconte son enfance pour le moins mouvementée et atypique au sein d'une famille qu'on qualifierait sans aucun doute aujourd'hui de « dysfonctionnelle ». Une enfance vécue à sillonner les routes, de l'Arizona à la Virginie de l'Ouest en passant par le Nevada, dans les pas hasardeux de parents aimants mais inconséquents, voire irresponsables, intelligents mais immatures, excentriques et égocentriques. Pas le temps pour les enfants de trouver stabilité ni sécurité, mais pas le temps non plus de s'ennuyer…
Rex et Rose Mary Walls rejettent résolument la société de consommation, optant pour une vie proche de la nature, pour la liberté d'agir et de penser. « Je vais nous construire un château de verre, qui laissera entrer le bonheur en même temps que la lumière » promet le père à chaque nouveau déménagement à la cloche de bois, à chaque nouvelle maison un peu plus délabrée que la précédente… Tout le monde fait semblant d'y croire – de moins en moins, au fil du temps qui passe, et qui use – parce qu'il pourrait en être capable, le bougre ! Ancien pilote de chasse, rebelle dans l'âme, inventeur-bricoleur jamais à court d'idées, baratineur charismatique, Rex est malheureusement toujours rattrapé par ses vieux démons, qui s'incarnent dans l'alcool et le jeu. Quant à Rose Mary, institutrice de formation, artiste peintre jusqu'à l'obsession, elle n'imagine pas une seconde sacrifier quoi que ce soit de sa passion à l'éducation de ses enfants, à l'attention qu'une mère est supposée devoir accorder à sa progéniture. Elle part du principe éducatif simple et radical que les enfants, quel que soit leur âge, doivent pouvoir faire ce qu'ils veulent comme ils le veulent car c'est en expérimentant qu'ils apprendront et c'est à partir de leurs erreurs qu'ils se construiront.
Ça se défend… et ça peut être dangereux : c'est ainsi que Jeannette, à l'âge de 5 ou 6 ans, se brûlera gravement en renversant la casserole d'eau bouillante qu'elle avait mise à chauffer pour se faire cuire des pâtes, sur les conseils de sa mère qui comprend bien que sa gamine a faim mais qui trouve quand même plus important de mettre une touche finale à son tableau en cours… Le récit de Jeannette balance ainsi entre les moments d'euphorie qu'a pu faire naître cette vie aventureuse, imprévisible, jamais routinière, cette vie hors des sentiers battus du conformisme et du respect des normes, et les épisodes cauchemardesques qu'a pu créer cette même vie aventureuse… La médaille a deux faces et le film, sans doute fidèle aux souvenirs de Jeannette tels qu'elle a choisi de les raconter – en les embellissant peut-être, sans doute… –, les met tour à tour en évidence et c'est en cela qu'il est intéressant. On passe de l'effroi, de la révolte devant une désinvolture qui vire parfois à la maltraitance pure et simple, à l'enthousiasme contagieux qu'entraînent la liberté, la fantaisie, la vitalité optimiste en action. En tout cas les enfants Walls ont su tirer parti de cette enfance hors norme, à moins qu'ils n'aient réussi à en vaincre les effets néfastes, puisqu'ils sont devenus des adultes apparemment équilibrés et intégrés, faisant la fierté de leurs parents qui, eux, n'ont dérogé à aucun de leurs principes, préférant devenir clochards plutôt que de rentrer dans le rang.