SÉANCE SPÉCIALE
Fins de vie
Insatiable arpenteur de nos institutions les plus fermées, Raymond Depardon s’introduit derrière les murs de ces hospices où la population relègue ses aînés en fin de vie. Un nouveau chapitre dans une œuvre kaléidoscopique et humaniste en forme d’état des lieux. 12 jours, c’est la durée légale au terme de laquelle il convient de confirmer l’internement d’un patient. Habitué de Cannes, le photographe y a figuré en compétition avec La captive du désert (1990), son deuxième long métrage de fiction. Il a reçu trois César : pour Reporters en 1982, New York, N.Y. en 1986, et Délits flagrants en 1995, et le prix Louis-Delluc pour La vie moderne, le troisième film de ses Profils paysans, montré à Un certain regard en 2008, avant de revenir en séance spéciale en 2012 avec Journal de France coréalisé par Claudine Nougaret, son ingénieur du son depuis Urgences en 1987 et productrice depuis 1992.
« De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou » Michel Foucault
Les couloirs de l'hôpital, froids, impersonnels, anxiogènes, témoins muets des souffrances psychiques, des errances intérieures, du mal à vivre en paix, du mal à vivre ensemble. C'est ici que l'on mène par la main mais éventuellement par force des femmes et des hommes qui peuvent présenter un danger pour eux-même ou les autres, ou provoquer des troubles à l'ordre public, parfois tout cela en même temps.
Depuis la loi du 27 septembre 2013, les patients hospitalisés sans leur consentement dans les hôpitaux psychiatriques doivent être présentés à un juge des libertés et de la détention avant douze jours puis tous les six mois si nécessaire. Parce que la justice ne peut et ne veut se substituer ni à l'expertise psychiatrique ni aux soins, et parce qu'elle souhaite apporter la meilleure réponse à ces personnes, un juge doit donc évaluer, avant la fin des douze jours d'hospitalisation et en étroite collaboration avec les experts médicaux, si l'hospitalisation doit se poursuivre, s'arrêter, ou s'adapter. C'est ce temps particulier dans le parcours judiciaire et médical des patients/justiciables que Raymond Depardon a choisi de filmer, cet instant bref et pourtant décisif où beaucoup de choses vont se jouer, sur un temps de dialogue très court.
C’est une humanité cabossée, en situation d’extrême faiblesse, que montre Depardon. Une employée d’Orange, parfaitement « normale » en apparence, laisse peu à peu percer sa détresse. Une toute jeune femme, élevée en foyers d’accueil, voudrait revoir sa fillette de deux ans. Un homme demande à la juge de tout faire pour rassurer son père alors qu’il l’a tué dix ans plus tôt… D'autres patients arrivent tout droit d’une chambre d’isolement, voire d’une unité de malades difficiles. La plupart ont le regard dans le vague, plus ou moins abrutis par les médicaments, pas toujours réceptifs aux propos du magistrat.
Filmant comme toujours au plus près des visages qui se crispent, qui se racontent malgré eux, qui souffrent et qui espèrent, Raymond Depardon raconte un domaine de la justice assez méconnu qui pose mille questions sur cette mission délicate de la protection, mais aussi sur la prise en charge de ces êtres parmi les plus fragiles de la société.
Quand la caméra ne filme pas les audiences, elle suit des silhouettes à la démarche incertaine, parfois désarticulées, errant dans des espaces trop petits aux murs trop froids et raconte aussi, à travers les lieux et les ambiances embrumées de la ville, toute la détresse et la solitude de la folie et de dépression. Souvent bouleversant, c'est un film essentiel et précieux pour mieux vivre ensemble.