Woman at War TP

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Halla, la cinquantaine, déclare la guerre à l’industrie locale de l’aluminium, qui défigure son pays. Elle prend tous les risques pour protéger les Hautes Terres d’Islande … Mais la situation pourrait changer avec l’arrivée inattendue d’une petite orpheline dans sa vie …

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SEMAINE DE LA CRITIQUE 2018

Volcan d’Islande

L’idée de Woman at War s’est imposée à Benedikt Erlingsson à la suite d’une rencontre impromptue avec des représentants de la banque mondiale, l’amenant à se pencher sur le problème du changement climatique. “Ils nous expliquaient que notre industrie avait beaucoup d’impact sur l’environnement. En sortant du séminaire, j’ai commencé à amasser pas mal de documentation sur le sujet, tout en me posant la question de l’histoire que je voulais raconter. Le risque était de faire un film à thèse qui ennuierait tout le monde. Alors j’ai commencé à imaginer une héroïne, sans pour autant raisonner en termes de genre. Pour moi, l’incarnation de ce combat passait automatiquement par un personnage féminin.” Pour l’incarner, le réalisateur va penser à Halldóra Geirharðsdóttir qui jouait déjà un petit rôle dans Des chevaux et des hommes. “Je l’ai choisie après un long cheminement. Mais je ne le regrette pas. Elle est fantastique. C’est un volcan islandais.” Désireux de produire lui-même son film, le cinéaste va s’associer avec Marianne Slot et Carine Leblanc (Slot Machine). “J’ai pitché le projet à Marianne et elle a accepté de travailler avec moi sur ce mode de fonctionnement. Cela a été un cadeau du ciel. Carine et elle ont été à la fois mes gardes du corps et mes mentors. Certes, de mon côté, je ne suis pas resté inactif, mais elles ont vraiment fait en sorte que ce film se fasse.” En termes de financement, le Icelandic Film Fund apportera son soutien quasiment du bout des lèvres. Un manque compensé par l’apport de fonds privés, Slot Machine apportant une part importante du budget. Le tournage s’est déroulé durant l’été 2017 sur des îles au large de Reykjavik et sur la côte Sud. Un rôle très physique pour Halldóra Geirharðsdóttir qui effectuera elle-même ses cascades, certaines  scènes l’amenant à courir, plonger et nager.

C'est le grand souffle d'air frais de notre été, un film épatant, vivifiant, impertinent qui nous transporte dans des paysages grandioses (bon sang que l'Islande est belle !), aux basques de personnages formidablement attachants, au fil d'un récit aussi malicieux que jubilatoire, qui nous entretient sans jamais se prendre au sérieux de la nécessité de la résistance subversive et du plaisir fou qu'on prend à la pratiquer. Effet euphorisant garanti !
Halla est grande. Elle est cette belle cinquantenaire en pleine forme qui tend la corde de son arc pour s'attaquer aux lignes électriques, petite silhouette endiablée perdue au milieu de la toundra, dans un paysage de rêve battu par les vents. Traits concentrés, regard d’acier, sourire en coin, elle a la carrure d’une amazone (mais pas touche à ses seins !). Malgré son barda de campeuse contemporaine, elle a la grâce d’une déesse chasseresse, une Artemis des temps modernes. Pourtant rien de sa carapace guerrière ne parvient à camoufler son côté burlesque, généreux, amoureux de la vie. Son pendant masculin serait un hybride de Don Quichotte et du petit David défiant Goliath. Mais dans la vie d’Halla, point de géant, ni de moulins à l’horizon, son ennemi c’est la finance et dans son cas ce n’est pas une promesse électorale, d'ailleurs elle ne s’en vante pas : elle serait la dernière à le dire de manière aussi grandiloquente, alors qu’elle est la première à passer à l’action. Quand l’industrie de l’aluminium contamine son pays, souille sa nature virginale, Halla s’en va saborder les pylônes électriques qui alimentent ses usines. Peu importe que son combat soit celui du pot de terre contre le pot de métal. De petits en grands sabotages, la voilà devenue, pour l’opinion publique, l’insaisissable et énigmatique « Femme des montagnes ». Celle qui galope à travers les champs de lave, solitaire au geste sûr, pour échapper aux autorités qui déploient leurs forces armées surdimensionnés. Au grand dam du gouvernement islandais et de la multinationale qui cherche à s’implanter, elle représente le minuscule grain de sable agaçant qui grippe à lui seul le rouleau compresseur du progrès aveugle, qui le ridiculise. C’est tout aussi palpitant que réjouissant de la suivre dans ses cavales à travers monts et rivières d’opales, poursuivie par des hordes d’hommes armés jusqu’aux dents. On se pique au jeu, on frémit, on a peur et pourtant on se marre avec elle. Car jamais elle ne se départit de son humour ravageur.
Et quand enfin sa mission est accomplie, on jubile de la voir enfin se fondre anonymement dans la masse, sereine après avoir échappé à ses poursuivants déchaînés. Qui penserait que cette chef de chorale si tranquille, cette yogi bienheureuse, est recherchée par toute la police de son pays ? Elle se reposerait d’ailleurs volontiers dans ses pénates, telle une célibataire endurcie caressant le secret désir de pouponner un enfant né d'une autre, goûtant les joies simples de l’existence, comme le font ses amis et sa sœur jumelle, auxquels elle cache sa double vie. Son seul « complice » est un chanteur de la chorale, haut fonctionnaire idéaliste mais de plus en plus inquiet de la tournure des événements, qui essaie de la dissuader de continuer. En vain, fort heureusement !
Non seulement l’histoire est exaltante, mais le récit est brillant, émaillé de surprises, comme ces deux trios, l'un de musiciens de jazz, l'autre de chanteuses folkloriques, qui surgissent dans les moments et les lieux les plus incongrus, faisant écho aux états d’âme d’Halla, tels des Jiminy Cricket de sa conscience. Il y a ces personnages croisés au hasard de ses virées activistes : le cyclotouriste qui fait un coupable idéal à répétition pour une police qui ne fait pas dans le détail, le solide fermier barbu qui se déclare son « cousin présumé » et qui lui donnera un fier coup de main dans les situations les plus périlleuses… Il y a aussi ces moments de pure grâce où l’univers entier semble flotter avec notre héroïne dans la matrice accueillante d’une grotte aux eaux chaudes. Il y a, bien sûr, ces images sublimes, l’œil de la caméra qui voyage constamment dans les paysages de l’infiniment grand à l’infiniment petit, nous faisant prendre d’infimes morceaux de lichen pour d’exotiques plantes exubérantes.
Cette fable révolutionnaire magique a tôt fait de devenir une ode aux héros ordinaires de toutes les époques et surtout de la nôtre. Mais peut-être les plus admirables dans l’histoire sont-ils les producteurs : « C’est vraiment très courageux pour une société d'assurance de soutenir un film sur le sabotage… », dit le réalisateur. Quand je vous dis qu’il est malicieux !