Après Vierge sous serment, Laura Bispuri revient en compétition à Berlin avec un autre film aussi sensible qu'intelligent, sur une fillette entre deux mères. Le fait que l'Italienne Laura Bispuri ait concouru pour l'Ours d'or dès son premier long-métrage, le remarquable Vierge sous serment, et qu'elle ait de nouveau été invitée au Festival de Berlin cette année avec Ma fille est éloquent : en alliant à des scénarios remarquablement fins et précis une mise en scène d'une grande sensibilité dans la pudeur, elle propose un cinéma déjà très reconnaissable, très fort et éclatant de fraîcheur.
Son petit dernier parle de nouveau, dans un contexte rural additionné de la mer qui sert non plus comme toile de fond archaïque mais pour l'élément de communauté et de simplicité qu'on y trouve, d'une fille et de son rapport non plus avec son père mais avec ses deux mères, une mère adoptive (forcément incarnée par Valeria Golino), Tina, qui est la mamma quintessentielle, et une mère de sang, Angelica (Alba Rohrwacher), qui vit au jour le jour parmi les animaux de sa ferme et dont la petite Vittoria découvre au début du film l'existence, à quelques étendues arides de distance du village. Petit à petit, comme l'arrivée d'Angelica dans sa vie semble apporter confusément une réponse aux sentiments d'être différente qui la troublent depuis toujours, la fillette aux cheveux roux tisse en secret avec la jeune femme un lien très instinctif par lequel sa fusionnelle maman Tina va se sentir menacée.
Bispuri fait se déployer tout au long du film en en épousant les fluctuations, sans jamais arrêter de réponse définitive, la quête d'identification de Vittoria et la rivalité ambiguë, doublée d'une étrange complicité, entre ces deux figures de mère qui vivent et aiment si différemment, jusqu'à un sacrifice poignant de la part de la "vraie" mère qui n'est pas sans rappeler le dénouement du jugement de Salomon (et auquel fait pendant, de la part de la plus protectrice, un "acte" extrêmement violent, celui d'exposer la petite au pire trauma, potentiellement, pour discréditer l'autre comme le genre de fille dont on ne fait pas les mères) et souligne bien la complexité du personnage d'Angelica. Ce personnage absolument formidable par sa liberté totale (qui donne lieu à des répliques désarmantes de sincérité simple voire de bon sens : "Pourquoi avoir peur du vide, ce n'est rien ?!"), y compris dans sa manière singulière d'accorder son amour, inconditionnel également ("Cet amour, on n'y touche pas", fredonne-t-elle souvent), égalitaire qu'on soit homme ou bête, mais aussi très farouche, permet à la réalisatrice d'explorer la nature de l'amour même et son rapport bizarrement persistant avec le sentiment de possession. On note à cet égard que l'argent, qui a pourtant une présence insistante dans le film, est toujours, fondamentalement, le cadet des soucis des personnages.
L'exquise sensibilité de Ma fille et sa richesse scénaristique sont parfaitement exaltées par la photographie de Vladan Radovic, délectable par ses jeux de textures, qui magnifient le brûlant décor sarde, et par l'emploi thématique qui est fait du lieu – avec une mention spéciale pour le trou étroit de la "nécropolis" d'où Vittoria va parvenir à renaître.