En ces temps estivaux, cette immersion rafraîchissante au cœur d'une base de loisirs de la grande banlieue parisienne aurait dû, sur le papier, parler principalement à nos camarades d'Utopia Saint-Ouen l'Aumône et Pontoise, voisins et habitués de ce rendez-vous incontournable des jeunes et des familles du coin. Mais vous auriez grand tort de vous en désintéresser tant le talentueux Guillaume Brac a su retrouver le regard d'un Renoir (Partie de campagne) ou d'un Duvivier (La Belle équipe) pour filmer avec tendresse, humour et parfois gravité les baigneurs, pique-niqueurs, joggers et autres dragueurs qui peuplent dès les beaux jours venus les plages et les sentiers des Étangs de Cergy-Neuville, aux abords de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise.
« L'île de loisirs de Cergy » (c'est le nouveau nom, plus chic que la « base ») est un monde immense : 250 hectares, six étangs reliés entre eux qui font de l'endroit la destination privilégiée des Val d'oisiens voire des Franciliens qui veulent se baigner, pique-niquer, simplement marcher et flâner à l'ombre ou s'adonner aux diverses activités de plein air. L'été, et c'est cela aussi la jolie dimension du film, c'est le point de rencontre de toutes celles et tous ceux – ils sont nombreux dans la région –, qui n'ont pas les moyens de partir en vacances. Un lieu créé au début des années 1970 quand la ville nouvelle, bâtie au milieu des champs en lieu et en place d'anciens villages, croissait à une vitesse exponentielle. Guillaume Brac était venu quelques fois enfant à Cergy et ça l'avait marqué, lui qui s'intéresse énormément aux lieux qui façonnent le destin des gens : son premier film, Un monde sans femme, était construit autour de la petite station balnéaire picarde d'Ault ; son deuxième, Tonnerre, était inspiré par la petite cité bourguignonne du même nom.
Le film débute par une scène amusante, digne des aventures de Tom Sawyer : une bande de gamins d'Argenteuil (ce n'est pas la porte à côté !) se fait refouler parce qu'ils ont moins de 15 ans et qu'ils ne sont pas accompagnés. Qu'à cela ne tienne, ils vont franchir un bras de rivière en devisant sur les risques qu'ils courent, la prison peut-être… pour se retrouver nez-à-nez avec des vigiles débonnaires qui les ont repérés dès le début… Il y aura aussi les scènes de drague loin des clichés sur la banlieue, car évidemment le bord d'un plan d'eau l'été, c'est le lieu des amours plus ou moins durables : on ne peut s'empêcher de penser que L'Amie de mon amie, tourné il y a trente ans non loin de là par Eric Rohmer, a sans doute influencé Guillaume Brac. On n'oubliera pas le sourire solaire du moniteur de pédalos beau comme un dieu grec qui permet à deux filles de profiter des activités nautiques au crépuscule, une fois tous les visiteurs partis…
Mais le film sait aussi être plus grave en montrant et en défendant la diversité et la solidarité des classes populaires qui fréquentent ou travaillent dans le lieu, avec cette famille de réfugiés afghans dont le père raconte son pays bouleversé, évoquant le jour terrible où il a frôlé l'exécution, ou ce professeur guinéen qui raconte les persécutions qu'il a subies : aujourd'hui il est le gardien nocturne de l'Ile… En cela le regard de Guillaume Brac est autant poétique que politique, tissant au montage un écheveau délicat entre l'intime et le social.