Captant initialement l'innocence de l'enfance face aux arrières pensées adolescentes, au travers d'une longue scène de baignade et de jeux dans une eau boueuse, Carlos Reygadas ouvre son film avec des plans de toute beauté. Il bascule ensuite du côté des adultes pour suivre le lent délitement du couple formé par Juan (Carlos Reygadas lui-même) et Esther (Natalia Lopez, écrivaine, monteuse émérite des films d'Amas Escalante et de Reygadas, par ailleurs son époux à la ville !), qui habitent et exploitent un ranch d'élevage de taureaux de combat (!!) près de Tlaxcala, dans la campagne mexicaine.
La quiétude des lieux tranche avec le feu intérieur qui consume les personnages. Esther brûle d’amour pour un autre homme, Phil, un vaquero nouvellement embauché avec qui elle entretient une liaison depuis quelques semaines. Juan, lui, est dévoré par la jalousie. Il essaie pourtant de se montrer compréhensif (ou de faire semblant), ouvert aux désirs de son épouse. Il accepte qu’Esther puisse entretenir une liaison avec cet homme, tant qu’elle ne menace pas leur couple. En échange, il lui demande de ne rien lui cacher et de l’informer régulièrement de l’évolution de cet adultère. Ainsi il peut garder le contrôle de la situation, régenter son petit monde à sa manière, en parfait macho il faut bien le dire. Or c’est justement ce qu’Esther ne supporte plus. Elle veut pouvoir vivre sa vie sereinement, en toute indépendance. Et plus Juan s’accroche à elle, plus elle a envie de le fuir. La situation ne fait naître que frustration et incompréhension.
Carlos Reygadas traite des affres de la passion amoureuse, qui s’estompe avec le temps, s’use au contact du quotidien et ne repose que sur un équilibre fragile. On sent que Juan et Esther s’aiment toujours, mais que leur amour a évolué. Il y a toujours de la complicité entre eux, mais ils ne sont plus tout à fait en phase l’un avec l’autre, plus aussi compatibles qu’avant. Cela complique les choses, car aucun des deux ne parvient à mettre un terme à la relation. Ils essaient de sauver ce qui peut l’être, et leurs tentatives n’ont pour conséquence que de les séparer un peu plus. Cette complexité, cette perversité même des rapports amoureux entre adultes tranche avec les jeux des enfants qui s’amusent dans les étangs voisins, s’adonnant à des batailles « pour de rire » entre garçons et filles, mais aussi avec le comportement des taureaux qui règlent à coups de cornes les conflits amoureux ! Entre Juan, Phil et Esther, l’affrontement est plus feutré. Mais les échanges civilisés et compréhensifs, hypocrites, débouchent sur beaucoup d’amour… « vache ».
Nuestro tiempo séduit par son ambiance singulière, par sa mise en scène souvent impressionnante, son sens du cadre, son audace contemplative, mais aussi par son habileté à disséquer les relations humaines, qui curieusement rappelle un peu celle d’Ingmar Bergman dans, par exemple, Scènes de la vie conjugale. C'est incontestablement le film le plus personnel de Carlos Reygadas (Japon, Batalla en el cielo, Lumière silencieuse, Post tenebras lux). C'est sans doute aussi le plus accessible… mais tout est relatif !