Dick Cheney : il y a des chances que ce nom ne vous dise pas grand chose, notamment aux plus jeunes d’entre vous… Et pourtant durant quelques années, de 2001 à 2006, Richard Bruce Cheney fut probablement l’homme le plus puissant de la planète. 2001, c’est évidemment le 11 septembre, cet attentat qui a sidéré l’Amérique non seulement par le nombre impressionnant de ses victimes (près de 3000 morts) mais aussi par la symbolique de son mode opératoire (plusieurs avions étaient capables de frapper simultanément le pouvoir économique et militaire du pays le plus puissant du monde). Le 11 septembre 2001, le nouveau président inexpérimenté, G.W Bush, n’est que depuis quelques mois au pouvoir. Et c’est le méconnu Dick Cheney, vice président qui a su négocier un poste aux super compétences renforcées, qui va, dans l’ombre et en lieu et place du président complètement dans les choux, assurer la riposte jusqu’au déraisonnable, avec dans un premier temps la guerre en Afghanistan, puis en 2003 la trop fameuse affaire des armes de destruction massive irakiennes qui mènera à l’invasion du pays, puis au chaos qui s’en suivra, aboutissant à la montée de Daesh.
Vice, qui porte bien son titre à la double signification, est donc le biopic trépidant et au vitriol de celui qui fut un maître du monde insoupçonné du grand public. Le film suit le parcours de Dick Cheney depuis ses débuts laborieux d’étudiant fêtard et alcoolique, viré de la prestigieuse université de Yale au milieu des années 60, mis au pied du mur par son épouse à la volonté de fer qui menace de le quitter s’il ne se reprend pas en main, puis tout au long de son ascension dans l’échelle politique qu’il grimpe étape par étape grâce à une soumission parfaite aux hommes de pouvoir qu’il croise sur son chemin, notamment Donald Rumsfeld, futur secrétaire à la Défense durant la guerre en Irak. Mais c’est forcément sur la période Bush junior que le film s’attarde le plus longuement : l’acmé de la carrière de Cheney, la période durant laquelle lui, Rumsfeld et Wolfowitz, trois âmes damnées tenantes d’un conservatisme très marqué et d’un bellicisme délirant, vont instaurer le mensonge d’état comme arme de manipulation massive, contribuant par leurs faux renseignements à construire la crédibilité de Daesh par la suite. Mais c’est aussi, remarquablement analysée, la période de l’affaiblissement des droits fondamentaux, autant pour les citoyens américains que pour ceux qui vivent à l’extérieur en temps de guerre sous le joug américain, et aussi celle de la privatisation de la guerre puis de l’exploitation des terrains conquis déjà entamée sous Georges Bush père sous l’égide de Cheney, alors secrétaire d’Etat à la Défense. Cheney qui deviendra par la suite, au terme de sa carrière politique, PDG d’un des principaux conglomérats de l’industrie pétrolifère : Halliburton.
Si tout cela peut paraître bien sinistre, il faut souligner qu’Adam McKay réussit à faire de toute cette histoire une géniale comédie acide, aux multiples rebondissements, dans laquelle tous les protagonistes de cette sinistre farce sont tous plus pathétiques et dangereux les uns que les autres. Et pour les incarner, des acteurs au sommet : Christian Bale, méconnaissable (on pense forcément à la prestation de Gary Oldman dans le rôle de Churchill, l’an dernier), donne une interprétation du rondouillard Cheney qui lui a valu un Golden Globe mérité, mais aussi Steve Carell dans la peau de l’insupportable Donald Rumsfeld, sans oublier la formidable Amy Adams dans le rôle de l’épouse discrète mais omniprésente, intraitable femme de pouvoir par procuration.