En 2001, la réalisatrice danoise Lone Scherfig a insufflé à Berlin un vent nouveau. Son film Dogme Italian for Beginners était une histoire chaleureuse et humaniste, drôle et noire à la fois, qui suivait des âmes perdues dans les banlieues endormies de Copenhague qui retrouvaient le chemin de la vie (et de l’amour) via un cours d’italien. Le casting de qualité de Scherfig et son scénario très juste lui avaient valu l’Ours d’argent, le prix de la critique et le prix du public et peu après, ce film avait été érigé en chef-d’œuvre par Ingmar Bergman.
Dix-huit ans après Italia for Beginners, la scénariste et réalisatrice Lone Scherfig revient en compétition avec un titre où elle s'attaque à un autre décor : Manhattan, où un nouveau groupe d’âmes perdues en demande de conseils se retrouvent à la dérive dans le climat doux-amer de la Grosse Pomme. En effet, The Kindness of Strangers, le film d’ouverture du 69e Festival de Berlin est à bien des égards la version métropolitaine d'Italian for Beginners.
Nos chers débutants en italien des banlieues danoises ne sont en effet pas bien loin des personnages de The Kindness.... Jeff, un gars sympathique mais stupide et malchanceux (Caleb Landry Jones), est la nouvelle incarnation de la boulangère maladroite interprétée par Annette Støvelbæk, et David Dencik aurait bien pu hériter du peignoir miteux, n'ayant pas vu une machine à laver depuis 2000, de Jesper Christensen, dans le rôle similaire d’un homme grincheux qui fume comme un sapeur. Timofey (Bill Nighy) est le restaurateur réticent et propriétaire du Winter Palace, géré par Marc (Tahar Rahim), un ancien détenu, bien intentionné mais malchanceux, et mal aidé par son ami avocat John Peter (Jay Baruchel). Cette foule de fanfarons amicale est rassemblée autour de Clara (Zoe Kazan), victime de violences domestiques, et Alice (Andrea Riseborough), une infirmière urgentiste doublée d'une spécialiste de la thérapie de groupe - comme dans le conte avec Blanche-Neige et sa marraine la bonne fée. Un ogre montre également sa tête : le séduisant Esben Smed, qui joue le mari abusif de Clara. Les deux garçons du couple (formidablement interprétés par Jack Fulton et Finlay Wojtak-Hissong) sont également affectés. La grande question qui se pose ici est : pourquoi les gens ne peuvent-ils pas être gentils ?
En résumé, ceux à qui Lone Scherfig réalisatrice de films d'auteur (plutôt que Scherfig l’artisane) manquait s'y retrouveront, mais ils devraient aussi se méfier de ce qu’ils souhaitent : la dernière fois, la cinéaste danoise suivait les règles du Dogme, et forgeait une relation intime avec ses sujets. Sans ces contraintes, on se retrouve avec plus que ce qu'on souhaitait, notamment une bande originale constante à côté de laquelle celle d'Autant en emporte le vent semble assez lo-fi. Mais on peut aussi apprécier malgré tout le travail d’une cinéaste qui connait la différence entre la qualité et le kitsch, et parfois, pourquoi pas, se fait plaisir en mélangeant un peu les deux. Comme Bergman le faisait également de temps en temps.