Comment une simple liaison, fut-elle extra-conjugale, peut-elle se transformer en affaire d’État ? The Reports on Sarah and Saleem va vous le faire découvrir. Véritable aventure kafkaïenne, ce thriller amoureux regorge de rebondissements. S’il ne court pas après l’analyse politique, elle le rattrape en filigrane et donnera à ceux qui en sont friands plusieurs niveaux de lecture. C’est donc un film passionnant et rondement mené qui attend ses spectateurs au tournant, ne les laissant guère respirer en toute sérénité. Tout comme ses habitants, nous voici prisonniers de l’haleine étouffante d’une Jérusalem bicéphale, dans laquelle les frontières sociales élèvent entre les individus un mur invisible honteux aussi puissant que celui érigé entre Israël et Palestine. Ici tout transpire une sorte d’apartheid larvé, endémique, entretenu par les autorités mais également par certaines classes de la population. Ici chacun compose avec la chape qui pèse sur ses épaules, alourdie par le poids de certaines familles traditionalistes, qu’elles soient juives ou arabes. Se rencontrer, aimer une personne du bord opposé se fait de façon secrète, dans la crainte constante (et un brin excitante) d’être dévoilé, rejeté, bafoué.
Ce jour-là, quand on assiste à une arrestation, le pain quotidien des Palestiniens, on est loin de se douter des tenants et des aboutissants de l’affaire. Comme toujours, nul ne sait si elle est légitime, si on gardera longtemps l’homme en cage, si les motifs officiels correspondront à une réalité. Entre check points, ségrégation, magouilles et menaces, la paranoïa s’est enracinée dans la ville dite sainte. Tout prisonnier devient un symbole, un résistant, un héros… Pourtant si on savait d’emblée ce qui a conduit Saleem dans cette galère, on se garderait d’en faire un plat et on étoufferait le scandale dans l’œuf.
Flash back… Saleem est un modeste chauffeur livreur, fauché comme les blés. Pas grand chose qui puisse le rendre fier de sa vie. Aucun métier lucratif qui lui permette d’assumer la charge de son épouse et d’une future ribambelle de mioches. C’est pas que l’amour ou la tendresse s’étiole entre les deux, mais le manque d’autonomie, de perspectives est un monstre larvé qui ronge de l’intérieur… À force de subir sa vie plutôt que de la vivre, on rêve d’évasion, d’espace à soi où respirer à plein poumons.
Sarah, elle, est du bon côté de la barrière, celle des gens aisés, cultivés, la classe moyenne mais néanmoins dominante israélienne. Si elle travaille dans une boulangerie, cela semble plutôt pour tromper son ennui, fuir une routine vide de sens, oublier l’absence d’un mari policier plus affairé à servir de nébuleux intérêts supérieurs qu’à entretenir la vitalité de son foyer.
Sarah et Saleem n’avaient rien pour se rencontrer… Pourtant ils se rencontrèrent… Étreintes torrides à l’arrière d’une fourgonnette, au beau milieu d’un parking isolé et un brin sordide. Une relation adultérine des plus banales pimentée par la saveur de l’interdit, d’autant plus goûteuse que ces deux-là font partie de deux mondes que tout oppose. Et ce dernier point, associé à de malheureux concours de circonstances, va faire basculer de simples rendez-vous charnels en liaisons dangereuses…
Il faudrait encore parler de la douce femme de Saleem, personnage qui va se densifier au fil d’un film qui ne sombre jamais dans le simplisme… Le choix des actrices est remarquable et témoigne d’une aventure collective courageuse. Produire un film palestinien en territoire hostile est une belle gageure – le pays n’a réussi à en produire qu'une trentaine dans toute son Histoire. Chapeau bas à l’équipe et particulièrement à la comédienne Sivane Kretchner, qui incarne Sarah, vilipendée en Israël pour avoir interprété au théâtre le rôle de Rachel Corrie, une militante américaine pro-palestinienne, tuée en 2003 par l’armée israélienne et à laquelle Simone Bitton a consacré son très beau documentaire Rachel en 2009.