« Ce siècle doit cesser d’être religieux pour devenir mystique. L’immortalité s’atteint probablement – étant donné que la mort est un phénomène individuel – de manière collective : en exaltant et en défendant l’humanité. »Alejandro Jodorowsky
De la longue et étrange carrière du fantasque Alejandro Jodorowky – 90 ans cette année, qui se voient si peu tant une énergie de jeune hidalgo habite le bonhomme – on retient quelques films mystiques et hallucinés tournés dans les années 60/70 au Mexique (Fando & Lis, le western sous acides, El Topo et La Montagne sacrée). On sait aussi qu'il fut homme de théâtre d'avant-garde et fonda avec son complice Fernando Arrabal le mouvement Panique, en réaction au surréalisme. Par ailleurs le grand dessinateur de BD Jean Giraud /Mœbius le choisit comme inspirateur et scénariste pour la série culte de SF L'Incal, qui trône depuis les années 80 sur les étagères de tous les lecteurs avertis. Enfin on savait l'homme passionné par le tarot divinatoire, dont l'approche était plus jungienne qu'occultiste.
Ces dix dernières années, Jodorowsky nous a livré deux superbes films autobiographiques, La Danza de la realidad et Poesia sin fin, utilisant pour l'occasion comme acteurs ses fils Brontis, Axel et Adam. Et dans la foulée, il nous livre ici un documentaire étonnant sur ce qui a constitué toute une partie plus méconnue – en tout cas pour le public cinéphile occidental – de sa vie : la psychomagie. Totalement, absolument jodorowskienne, la psychomagie est un art thérapeutique qui se veut une alternative à la psychanalyse, basée sur la simple écoute des patients et qui exclut tout contact physique entre le sujet et le thérapeute. Tout au contraire, Jodorowsky propose à tous ceux qui viennent le voir et qui souffrent de traumatismes enfouis – de tous ordres : familiaux, sexuels, allant de la simple jalousie à la réelle détestation d'un être – de révéler et essayer de soigner ce mal de l'âme par des mises en scènes symboliques où souvent le massage en profondeur voire le corps à corps fusionnel tiennent une grande place.
Le film est une succession de captations des différentes séances, parfois extrêmement intimes, que mène Jodo. La première par exemple, intitulée « Deux frères jaloux pour l'amour de leur mère », met en scène ses propres fils et propose un combat corporel à trois… Ce qui est assez saisissant et montre toute la cohérence de la carrière de Jodorowsky, c'est que sont incrustés des extraits de ses films où l'on voit combien la psychomagie imprègne son cinéma : c'est le cas tout récemment dans cette formidable scène autobiographique de La Danza de la realidad où le jeune Jodorowsky, qui a peur de l'obscurité, et sa mère se mettent nus et se recouvrent de cirage pour conjurer la phobie, dans une sorte de cérémonial frisant l'inceste.
Parmi les scènes réelles les plus impressionnantes, on citera celle montrant un homme qui ne parvient pas à surmonter la violence de son père subie alors qu'il était enfant et que Jodorowsky enterre symboliquement au milieu de la Sierra espagnole, la tête seule émergeant sous une cloche percée pour la respiration, recouvert de morceaux de viande, si bien que des vautours ne tardent pas à le recouvrir. Il y a aussi la très belle séquence où Jodorowsky tente de faire reprendre goût à la vie à une vieille femme déprimée, habitée par la haine des autres et d'elle même.
Les sceptiques et les rationalistes pourront évidemment faire la moue, voire crier au charlatanisme, mais la sincérité visible de Jodorowsky et sa générosité envers ses « patients » emportent à tout le moins attention et respect. Sans compter le fait que Jodo ne fait payer personne, s'estimant avant tout artiste…