Lola (excellente Mya Bollaers, dont c’est le premier rôle !) semble flotter, s’envoler vers le ciel, dès le tout premier plan du film. Prémices d’une évasion, celle d’une adolescente prête à abandonner sa chrysalide. La légèreté des gestes de Lola tranche avec son air grave, déterminé. Cette fille aux cheveux longs, trop roses pour que ce ne soit pas une aimable provocation, nous allons la suivre dans ses déshérences, ses refuges, ses espoirs inavoués et ceux complètement assumés. Quand on a 17 ans, on se sent assez fortiche pour refaire le monde, refuser de ne pas vieillir aussi bête que ses ancêtres. Du moins le croit-on.
Lola qui s’apprête à changer de vie, de sexe, de peau, tant elle se sent plombée par ce corps qu’elle n’a pas voulu, est encore, malgré ses affirmations, ses grandes certitudes, à l’âge fragile où, tout en les fuyant, on a encore un peu besoin de ses parents. Plus qu’on ne l’imagine parfois. Le foyer où elle s’est réfugiée depuis deux ans est devenu son nouveau nid sécurisant, chapeauté par des adultes qui écoutent au lieu de juger, peuplé de jeunes gens en rupture avec une famille plus ou moins existante. Tous déjà au ban d’une société qui n’a pas su les accepter, les protéger des autres, ou d’eux-mêmes. En peu de plans, la vie qui reprend le dessus, la solidarité transpirent de l’endroit, en définitive pas si impersonnel que ça, moins formaté qu’on ne l'imagine.
L’histoire de Lola débute le jour où elle doit se rendre à une cérémonie d’adieu à laquelle nul ne l’a conviée. Lèvres pincées, gorge serrée, sans une larme, elle prend le train qui la ramène vers le pays perdu de son enfance. Les champs verdoyants, le village au silence assourdissant, l’église proprette aux briques roses… qu’elle trouve bien vide. Décidément, rien ne lui facilitera les choses. À travers les rues presque désertes, la voilà qui fonce et pénètre dans la maison où tous sont réunis autour du père, de son père… Les retrouvailles sont amères, aussi violentes qu’un pavé dans la mare, celui-là même qui brisera la glace, le pavé de la révolte. Car Lola, comme tant d’adolescentes à la langue trop bien pendue, saura cogner là où ça fait mal, dans les parties basses d’une société archaïque, asphyxiante, qui ne peut plus la contraindre à être ce qu’elle n’a jamais été.
En dire plus, serait-ce raisonnable ? On vous laissera découvrir celui que Lola appelle « Philippe », celle qui s’appelait Catherine, leurs liens à tous les trois. Car toute cette introduction presque classique n’est que le préambule d’un fort joli road movie, essentiel, tout aussi réel qu’allégorique, un voyage initiatique, non seulement pour l’adolescente mais aussi pour celui qui n’a pas su l’accepter telle qu’elle était. Au fur et à mesure des échanges, parfois exaltés, tristes ou drôles, l’un va prendre la mesure de l’autre, comprendre ses vérités cachées, découvrir ce qu’il ignorait ou feignait d’ignorer. Il y a dans ces moments simples une forme de magie qui opère, une part de mystère faite pour rester inexpliquée.
C’est rudement réjouissant, rudement bien interprété. Benoît Magimel excelle dans le rôle du mec obtus, plus paumé qu’un minot, qui progressivement s’ouvre à sa fille. Il aura fallu une énorme faille, une terrible absence pour qu’enfin il aille creuser là où ça fait mal. Dans le fond, peut-être se débarrasse-t-il lui aussi d’une sorte de chrysalide, une chape de plomb terrible forgée par les idées préconçues, l’ordre sociétal établi, les lois du paraître. En se libérant elle-même, peut-être Lola libère-elle également son père… Tandis qu’au dessus d’eux une âme invisible semble planer et veiller sur le sort de ces deux-là qu’elle a aimés.