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C'est l'histoire d'un groupe d'aventuriers de l'humanitaire, c'est l'histoire d'un homme charismatique au possible… et il fallait qu'il le soit pour entraîner dans une aventure aussi bancale que pleine de bonnes intentions une flopée de familles françaises, une équipe de bénévoles dévoués corps et âme, prêts à risquer plus que leur tranquillité en s'embarquant un beau jour pour l'Afrique dans le but (humanitaire) d'exfiltrer trois cents enfants de moins de cinq ans de leur pays d'origine pour les ramener vers des familles prêtes à les accueillir en France après avoir contribué au financement de l'opération.
On se rappelle cette histoire de l'Arche de Noé, qui défraya la chronique en 2007, provoqua un incident diplomatique avec le Tchad et moult rebondissements judiciaires, médiatiques… et n'est d'ailleurs pas terminée. Les prétendus orphelins ne l'étaient pas toujours, une certaine liberté avait été prise avec les règles de base indispensables dans ce genre d'opération : comment un simple pompier avait-il pu lever plus de 800 000 euros auprès d'inconnus prêts à le suivre sans garanties particulières, uniquement sur la conviction que de bons Français se devaient de voler au secours d'enfants africains ?
Mais si le film s'inspire avec précision de cette histoire, il ne prend pas ouvertement parti et s'interroge surtout sur les ressorts humains qui peuvent conduire à une telle situation, sur cette capacité largement partagée (on le voit constamment et encore récemment) de se laisser emporter par l'émotionnel, par ces pulsions épidermiques qui embrouillent le raisonnement, ouvrent la porte aux manipulations les plus diverses et peuvent entraîner les mieux intentionnés à commettre des actes dont ils ne mesurent pas les conséquences, et parfois même aboutir au résultat inverse de celui espéré. Les personnages du film ne sont pas des mauvais bougres. Même si celui qui les entraîne a bien conscience de ne pas agir en toute légalité, il semble d'abord être mu par le désir de « faire le bien » selon une conception toute subjective et ainsi interroge nos propres relations à ce qu'on nomme communément la « générosité » : à qui fait-on du bien lorsqu'on fait « le bien » ? À soi ? Aux autres ? Est-il possible de s'affranchir dans une telle démarche de toute réflexion politique, contextuelle, historique ?
Il n'y avait pas mieux que Vincent Lindon pour porter un tel personnage, ce qu'il dégage rend crédible toutes ces interrogations : il est convaincant de charisme, mu par une conviction qui n'a d'égale que la méconnaissance du terrain sur lequel il évolue, emberlificoté dans des relations complexes avec des interlocuteurs africains auxquels il ne comprend rien et qui l'impatientent, aveuglé qu'il est par l'obsession de mener à son terme la mission qu'il s'est fixée. Autour de lui, la petite équipe – médecins, infirmières, sauveurs d'humanité, journalistes, intermédiaires –, entre doutes et certitudes, est une superbe illustration de nos difficultés à comprendre le monde et à comprendre ce qui se cache dans l'ombre de nos motivations affichées.
Les Chevaliers blancs trouve un magnifique écho dans l'émission de Laure Adler dont on vous recommande l'écoute (Permis de penser sur le site de France Inter : émission du Samedi 12 Décembre, avec Thierry Levy, remarquable comme à son habitude) qui pose une des question essentielles qu'illustre le film : où donc se niche la vérité ? Y-a-t-il une vérité judiciaire… une vérité tout court… qu'est-ce qui fait qu'un jour ou l'autre un individu franchit la limite de ce qui est licite ? Qui définit ce qui est licite ?