Le souffle de la danse
Vous aviez réservé un bel accueil à Anna Halprin, le souffle de la danse, précédent film du même Ruedi Gerber. Et d'une certaine façon, avec ce Voyage vers la sensualité, nous reprenons comme si nous ne l'avions pas quitté le fil de l'histoire de cette incroyable chorégraphe qui, à quatre-vingt-dix ans passés, continue de danser sur les tréteaux du monde entier – mais surtout n'en finit pas de découvrir, inventer, chercher, rêver la danse et les danseurs. Plus que jamais elle invite à « danser la vie », son mot d'ordre, tant il est vrai que la danse – et l'art en général – est plaisir certes, mais surtout nécessité vitale associée à chaque étape, à chaque événement, à chaque moment du parcours humain : danser l'amour, danser pour se rebeller, pour la justice sociale, danser avec ses enfants, danser la maladie…
Au sortir d'une représentation parisienne, Anna Halprin (re-)découvre les sculptures de Rodin. Fascinée par la puissance d'évocation du mouvement de ces œuvres figées, elle engage aussitôt un processus de création avec les danseurs professionnels et amateurs qui constituent « sa » troupe, le Sea Ranch Collective, sur la plage qui borde la maison-théâtre construite pour elle en 1954 par son mari Lawrence Halprin et l’architecte Arch Lauterer. En pleine nature, entre la baie de San Francisco et le mont Tamalpais, elle accepte de dévoiler non seulement le processus de création de la pièce éponyme inspirée par la statuaire de Rodin mais aussi de léguer à la postérité sa Méthode, simple d’apparence, en réalité mise au point durant des dizaines d’années.
« Avec ce film, pour la première fois, nous jetons un regard dans les entrailles de l’“usine”, à l’intérieur du processus créatif de son travail. Nous assistons à la genèse de l’une de ses œuvres et comprenons mieux son travail. Initialement, je voulais davantage m’adresser aux professionnels de l’art et de la danse, mais j’ai vite senti que ce travail était universel et donc accessible à tout un chacun. Son équivalence au génie d’Auguste Rodin m’a enthousiasmé et m’a aidé à considérer l’œuvre de Rodin d’un œil nouveau. À travers le mélange de professionnels et amateurs, “just people” comme le dit Anna, se crée un accès à la matière, au film et par conséquent au vécu propre du corps et de sa nature, ce qui me touche toujours beaucoup. Nous montrons comment les émotions et le mouvement sont toujours liés de manière simple et directe, mais également qu’il y a une technique ou une méthode qui se trouvent derrière. Le travail dans la nature, à la plage et en forêt, permet de vivre sans préjugés sa propre nature et met en activité par le sens du mouvement cette ressource naturelle et qui créatrice d’une liberté personnelle. »
Là naissent des chorégraphies sensuelles, stupéfiantes, interprétées par des danseurs entièrement nus sur les plages et dans les arbres. Anna Halprin donne expression, dans cette nouvelle création, à son espoir pour la vie et pour l'humanité. « Dans une époque dans laquelle on arrive à couvrir des statues à Rome lors d’une visite d’État par peur de heurter la sensibilité religieuse, il est urgent de se rappeler la beauté expressive de notre corps nu et de son caractère unique comme affirmation de notre humanité ». (Ruedi Gerber)