Il est des carrières qui connaissent de fulgurants décollages : propulsées en un rien de temps dans les hautes sphères, flirtant en deux films avec les étoiles les plus brillantes, embrassant le firmament en un pas de claquettes. Damien Chazelle, après le succès mondial de La La Land, semble ne pas subir la pression atmosphérique de sa réussite et se remet en piste avec la fougue et la passion qui le caractérisent. Il s’attaque cette fois à un monument de l’histoire américaine, voire, pour ceux que la conquête spatiale fascine, de l’histoire humaine tout court : l’épopée de Neil Amstrong, le premier homme à avoir posé le pied sur la lune.
Nous n’avons pas pu voir First man à l’heure de ce bouclage mais le premier papier sorti dans Le Monde à l’occasion de sa présentation en ouverture de la Mostra de Venise nous donne un délicieux aperçu de ce qui nous attend sur Terre le 24 octobre prochain.
« Le départ fut immédiat. Les premiers plans de First Man transportent le spectateur dans un siège de parc d’attractions à thème où le corps et les sens sont mis à rude épreuve. Images convulsives, floues, imprécises, abstraites, comme déchiquetées, bande-son tonitruante qui vrombit dans le ventre… tout semble déréglé et au bord du chaos. Tout l’est en effet, à bord du vaisseau spatial dans lequel Neil Armstrong effectue une des premières missions habitées du programme Gemini 8 qui tente de réaliser la jonction en orbite entre deux engins.
« Cette scène est la première de ce type. Il y en a d’autres dans First Man, légèrement différentes selon les problèmes rencontrés mais toujours éprouvantes, et toujours filmées à l’identique, selon le même parti pris sismique et syncopé. Elles sont ce qui ponctue, jusqu’à progressivement l’envahir, le quotidien du héros du film, une vie douce, pudique, joyeuse auprès de ses enfants et de sa femme, Janet Cette alternance entre l’intime (aux allures très classiques) et le spectaculaire (que le cinéaste s’attache à pulvériser) permet à Damien Chazelle de maintenir son cap : demeurer proche de son personnage qu’il n’érige pas en surhomme. Au contraire, First Man raconte une aventure humaine, à travers les difficultés, les déboires, les échecs parfois meurtriers, les découragements.
« Damien Chazelle s’est inspiré de la biographie du même nom de James R. Hansen publiée en 2005 (éd. Simon & Schuster), et a fait appel au scénariste Josh Singer(Pentagon Papers, Spotlight, Le Cinquième Pouvoir, À la Maison Blanche). De quoi servir ce désir de vérité – cet aspect « reportage », a-t-il même précisé – qu’il sophistique et tempère en même temps par une haute technicité de la réalisation.
« Quant au dosage entre les plages de vie ordinaire et les séquences « fantastiques » que tisse le film avec maîtrise, il n’est pas sans rappeler la patte d’un Steven Spielberg, par ailleurs producteur exécutif du film. Une référence qui, pour Damien Chazelle, relève plus d’un partage de point de vue et de sensibilité artistique que d’une influence.
« Car Chazelle sait faire. Il sait utiliser les genres pour se les approprier, et les amener vers des thèmes qui lui tiennent visiblement à cœur, que l’on retrouve d’un film à l’autre. Parvenir à ses fins, concrétiser ses rêves, devenir quelqu’un, et peut-être même un héros, ne se fait pas sans y laisser des plumes. Comme Neil Armstrong, les personnages principaux de La La Land et de Whiplash, son premier film, en faisaient l’expérience ».