3.5 | 3 |
Made in Beauce
Le belge Bouli Lanners, à l'instar de ses camarades en cinéma Delépine et Kervern, fait partie de nos grands chouchous, à la fois comme acteur et depuis ses débuts de réalisateur. On aime chez lui cette étrange alchimie d'humour surréaliste, de poésie mélancolique, de regard à la fois généreux et sans concession sur une humanité qui va à vau-l'eau dans des univers toujours un peu décalés. Bouli Lanners, ce pourrait être un curieux mélange entre des Frères Dardenne qui auraient cédé un peu de réalisme pour être drôles tout en étant lucides et les susnommés Délépine et Kervern avec un ton un chouïa plus grave et plus tendre. On le sait et on le chérit aussi pour ça, Bouli Lanners a toujours aimé les laissés pour compte. Dans Eldorado, c'était un jeune voleur que le héros – incarné par le réalisateur lui-même – accompagnait à travers la Wallonie, dans un road movie trépidant et épique, pour retrouver sa famille dans le Sud du pays. Dans Les Géants, il filmait avec une empathie contagieuse un groupe d'enfants livrés à eux-mêmes au cœur de l'été et de la forêt. Bouli Lanners aime à la folie les paysages désolés de fin de monde, la plaine wallonne désertée dans Eldorado, les montagnes forestières des Ardennes belges dans Les Géants. Les Premiers les derniers s'inscrit de plain-pied dans cette veine féconde. Ses deux héros sont deux hommes de main chargés par un mystérieux commanditaire de retrouver un téléphone volé contenant des informations compromettantes. Mais Gilou et Cochise ne sont pas des chasseurs de prime de toute première fraîcheur, aucune chance qu'on les confonde avec Steve Mc Queen, notamment Gilou (Bouli Lanners), affublé d'un petit chien ridicule et parfaitement incapable de courir plus de cent mètres sans risquer la crise cardiaque. Les voilà perdus dans la plaine de Beauce, dont l'horizon désespérément dépourvu de relief et la densité au km2 feraient déprimer un clown sous euphorisants. Leur chemin va croiser un jeune couple de handicapés en fuite et une bande d'autochtones fort peu accueillants. Au-delà de l'intrigue étonnante parce que jamais prévisible, la force du film tient au formidable duo Albert Dupontel / Bouli Lanners, parfaits en losers magnifiques unis à la vie à la mort par l'amitié et les galères. Et on n'oubliera surtout pas les rôles secondaires : Suzanne Clément, la comédienne fétiche de Xavier Dolan, Serge Riaboukine impayable en beauf brutal et borné, et les vieux sages Michael Lonsdale et Max von Sydow dans des apparitions lumineuses. Visuellement le film est splendide : Bouli Lanners donne une dimension épique au paysage uniforme et monotone de la plaine beauceronne et en fait ressortir les étrangetés, comme le vestige de ce monorail surélevé qui devait rejoindre Paris et Orléans et qui, abandonné au milieu des années soixante-dix, s'arrête de manière incongrue au milieu de la forêt. Ou dans cette scène qui voit un cerf surgir dans un hangar désert où se trouve le corps oublié d'un homme décédé il y a bien longtemps… Jouant en virtuose d'une lumière volontairement crépusculaire, qui crée une atmosphère à la fois envoûtante et inquiétante, Bouli Lanners va dans le sens du beau titre apocalyptique de son film, mais c'est pour mieux faire surgir cette humanité et cette générosité que l'on croyait perdues.
Et signalons pour nos amis, aucun animal n'a été maltraité durant le tournage.