The Irishman ou Once Upon a Time in America version Scorsese nous offre la somme des films de gangsters du cinéaste. KO debout de la première à la dernière image, le souffle coupé le film trace l’histoire d’un livreur de viande qui deviendra le bras droit et le tueur à gages de la pègre de la côte est des États-Unis, de Philadelphie à New York, au service du puissant syndicat des camionneurs dans les années cinquante (Teamsters). Film de gangsters sur fond de trame historique, l’assassinat de Jimmy Hoffa ne fut jamais vraiment officiellement élucidé si ce n’est les aveux tardifs de Frank Sheeran avant de mourir de sa belle mort dans un hôpital de Pennsylvanie.
La chronique mafieuse de Scorsese éclate dans toute sa majesté dans The Irishman. De par sa nature, The Irishman s’inscrit dans la continuité de deux des meilleurs films de Scorsese : Les affranchis (Goodfellas), chef-d’œuvre établi, et Casino, chef-d’œuvre aussi dès lors qu’on se donne la peine de le revoir. Sorti en 1995, Casino marquait pour le compte la dernière collaboration entre le réalisateur et sa muse Robert De Niro. on assiste donc aux retrouvailles crépusculaires des collaborateurs d’antan qui, ô joie, sont parvenus à convaincre le partenaire fréquent de De Niro chez Scorsese, Joe Pesci, de sortir de sa retraite. À cela s’ajoute la perspective de voir De Niro donner la réplique à l’autre monstre sacré de sa génération, Al Pacino, et ce, après un face à face trop bref dans Tension (Heat) de Michael Mann (sans compter Le Parrain II, dans lequel ils ne partageaient aucune scène).
Long préambule pour établir que, pour des motifs purement cinéphiles, The Irishman émeut avant même d’avoir commencé. Et pourtant très peu de cadavres dans The Irishman où, au son mélancolique de la chanson In the Still of the Night, on pénètre dans un foyer pour personnes âgées. La mort n’est pas là, mais elle est proche. Cette entrée en matière donne le ton à un film qui, s’il est certes ponctué de ces éruptions de violences d’un réalisme cru caractéristiques du cinéma de Scorsese, fait montre d’une économie assez inhabituelle pour le cinéaste. La maestria est au rendez-vous dans toute sa plénitude.
Entrecoupé de retours dans un présent campé au début des années 2000, le récit consiste en une suite d’épisodes montrant l’ascension et la chute de Sheeran. Sheeran qui, en choisissant d’entrer dans la famille mafieuse de Bufalino, tourne involontairement le dos à la sienne, avec pour conséquence de s’aliéner sa fille Peggy.
Le scénario, brillant, que Steve Zaillian (Schindler’s List, Gangs of New York) a tiré du livre de Charles Brandt (I Heard You Paint Houses), se déploie ainsi sur plusieurs époques, abordant au passage des moments marquants de l’histoire des États-Unis. De Niro, Pesci et Pacino livrent en outre des performances magnifiques. Pesci n’a jamais été si bon, si juste, ce qui n’est pas peu dire. Enclin à la flamboyance, Pacino se paie la traite, mais il ne cède pas à la caricature. D’une fluidité remarquable, l’ensemble bénéficie du montage au scalpel de Thelma Schoonmaker, collaboratrice la plus assidue, et précieuse, du cinéaste.
Après le refus de plusieurs studios, il aura fallu la puissance financière de Netflix pour accoucher de The Irishman, titré d'après le surnom du mafieux Frank Sheeran, dont le témoignage constitue la trame du livre et du film.
Le seul regret qui nous anime face à cette extraordinaire leçon de cinéma que nous offre Martin Scorsese est de savoir que la vaste majorité du public qu’elle atteindra n’aura pas l’occasion de la voir sur grand écran. En effet en France notamment, seuls quelques privilégiés triés sur le volet purent le voir à la Cinémathèque Française qui est devenue hélas le haut lieu de l’élitisme parisien. Nous avons eu la chance de voir le film au Lincoln Center à New York où il fut projeté plusieurs fois sans aucune discrimination de spectateurs comme à Paris.