Lisa (impeccable et lumineuse Nina Hoss) est une femme brinquebalée dans un maelstrom incessant d’activités, de sentiments. Dans le fond, sa vie est représentative de celles de bien d’autres, tiraillées entre passions, famille, activité professionnelle, et qui finissent toujours par devoir mettre quelque chose de côté. Mais comment tirer un trait sur une des choses essentielles de sa vie ?
Pour favoriser la carrière suisse de son mari, Lisa a abandonné Berlin, le milieu artistique qu’elle aimait, et mis en sourdine sa vocation d’écrivaine, jusqu’à annihiler sa capacité créatrice, ses talents de dramaturge. Et tout cela Sven, son frère jumeau, qui la décrète « petite » sœur au prétexte qu’il est né quelques secondes plus tôt, ne le voit que trop. Lui a choisi de rester sur les planches, de vivre sa passion du théâtre et sans doute Lisa vit-elle à travers lui un peu par procuration… Tout cela on va le découvrir sans fards, juste avec quelques perruques aux couleurs clinquantes, de celles qui permettent de garder la tête haute, de tromper les regards inquisiteurs. Et Sven, atteint d’une leucémie, en a besoin : ne pas générer une pitié dégoulinante, n’étaler en public ni frousse, ni souffrance. Quelles que soient les épreuves, il les affrontera avec panache, avec un humour discret et élégant.
Les premières scènes se passent en milieu hospitalier. Gros plan sur Lisa, grave mais presque souriante. Puis sur Sven, terrassé et digne, en milieu stérile… C’est bien pratique d’être liés par le sang quand il faut donner un peu de soi pour une greffe. À la sortie de l’hôpital, Lisa aura tôt fait d’empaqueter quelques effets personnels de Sven, d’aller le chercher, de l’accueillir chez elle entre mômes et époux… C’est un univers de douceur, d’écoute, de tendresse, de rires. Les neveux de Sven l’adorent, profitent à fond de sa présence, même si les adultes leur rappellent qu’il doit se reposer… Ce qui arrivera par la suite… peu importe… Entre frère et sœur on découvre une relation intense, fusionnelle, urgente, d’écorchés vifs qui se raccrochent l’un à l’autre comme deux polissons tout droit sortis des contes d’Andersen, prêts à pénétrer dans une forêt inexplorée. Ensemble, ils vont se raccrocher de façon déchirante à leurs raisons de vivre. Pour Sven c’est continuer d’être acteur, alors Lisa en fera sa bataille principale…
Si le ton est tellement juste pour décrypter les interactions parfois violentes au sein d’une lignée de théâtreux, c’est que les deux réalisatrices – dont on avait beaucoup aimé le premier film : La Petite chambre (2010) – baignent avec passion dans cet univers depuis longtemps et que, amoureusement, elles ne lui font pas de cadeau ! Tout comme leurs deux personnages principaux, elles forment un tandem d’âmes sœurs inséparables depuis l’enfance, quand bien même elles ne sont pas jumelles par les liens du sang. Ainsi la complicité entre Lisa et Sven semble le reflet de la leur propre et n’a pas forcément besoin de mots pour s’exprimer. Il suffit d’un geste, d’une comptine fredonnée pour deviner que resurgissent des souvenirs communs du passé. Outre ces instants emprunts de délicatesse subtile, les réalisatrices nous livrent une analyse au scalpel des relations humaines, n’ayant pas peur d’étaler les sentiments les plus contradictoires, tout en évitant la mièvrerie. Au travers de nos deuils, c’est la vie qui continue, qui reprend ses droits. C’est peut-être en définitive la finalité de l’histoire. La petite sœur, tout en risquant de perdre un être cher, retrouve, par un étrange jeu de ricochets imprévisibles, un autre être qu’elle avait perdu : elle se retrouve elle-même, avec toute sa force créatrice…