Le sang des bêtes
Découpeurs, estampilleurs, saigneurs… Autant de métiers qui correspondent aux trente tâches de la chaîne de mille personnes du hall d’abattage où les réalisateurs ont réussi à filmer. Fait rare, ils ont pu s’entretenir avec les employés pendant leur service, malgré le bruit et la cadence. Tout commence par une attente : des mouvements en apparence pour rien, sans le sang des bêtes – les sept minutes de gymnastique obligatoires. Une fois la chaîne lancée, frappe bien sûr le « sale boulot », la rapidité experte de l’éviscération et du dépeçage. Mais le cadrage et l’équilibre entre image et parole rejettent tout sensationnalisme. Pas question non plus de se focaliser sur le moment de l’abattage proprement dit. Les entretiens mettent au jour le système hiérarchique reposant sur une précarité chronique, redoublée par le risque d’accident. Peu à peu, sur l’évidente souffrance animale se calque une souffrance humaine tout aussi palpable, physique – à tel point que la douleur en vient à définir le travail : « J’ai les épaules qui craquent… C’est peut-être ça, le travail, allez savoir. Je suis pas cassé, alors je reste… », lâche un employé. Sans forçage discursif, le film trouve dans cette usine d’un type particulier un exemple hyperbolique de la condition actuelle de travailleur à la chaîne – celle d’une optimisation des forces à tout prix, jusqu’à « casser du bonhomme ».