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De doux dingues
« À sept ans, je suis bouleversée par la mort soudaine de Gédéon, un magnifique canard blanc gagné lors d’une fête au village voisin. Je décrète sur le champ que, toute ma vie, je serai profondément et férocement opposée au concept de Mort. » (Marie, extrait du dialogue)
Voilà une comédie sentimentale jubilatoire et décalée comme on les aime, une histoire de trio amoureux improbable et foutrement attachant, avec quelques personnages secondaires hauts en couleur pour pimenter l'intrigue. Comme dans son très réussi précédent film, Deux automnes, trois hivers (disponible en Vidéo en Poche), Sébastien Beitbeder choisit une narration intelligemment déstructurée et nous offre une échappée aussi inattendue que revigorante vers une île bretonne, histoire de nous aérer les bronches, histoire surtout de sortir un peu de la sacro-sainte géographie germanopratine devenue assez insupportable dans la comédie amoureuse telle que l'imagine le cinéma français.
Au départ : Siméon. Un simili-intello trentenaire, nonchalant, mesuré, en tout cas pas franchement radical dans ses comportements ni dans ses opinions. Il a pour l'instant un peu raté sa vie. Le journal culturel pour lequel il travaillait s'est arrêté, sa fiancée s'est progressivement détachée de lui, et il se retrouve colocataire désargenté d'Oscar, un ami de lycée, musicien doué et insomniaque chronique.
Ensuite : Marie. Une brunette fantasque montée du Sud-Ouest à Paris via Bordeaux, à la recherche d'une vie de plaisir et de mouvement. Pas mal de drogues, d'amour physique, de rencontres éphémères l'ont rendue un peu « décalée », un peu instable, un peu à côté de la réalité. Comédienne débutante, elle a tourné une pub à moitié dénudée qui lui colle à la peau, et la rencontre avec une vieille dame a changé sa vie. Pour l'heure elle se cherche.
Enfin : Antoine. Écrivain balbutiant d'origine marseillaise ainsi qu'en atteste son accent à couper au couteau, particulièrement sensible et torturé. Et accessoirement ex-compagnon de Marie. Après une enquête sur le monde des personnes électro-sensibles, il a cru l'être devenu lui-même et a longtemps vécu calfeutré pour se protéger des ondes. Il a connu avec le livre tiré de cette expérience un certain succès, mais il est en panne d'inspiration.
Et voilà-ty pas sur ces entrefaites : 1/ que Siméon, lors d'une virée nocturne, trouve le portefeuille que vient de perdre Marie ; 2/ que Siméon va évidemment trouver Marie pour lui rendre son bien et tomber raide-dingue d'elle ; 3/ qu'Antoine, toujours amoureux de Marie, va s'ingénier à se mettre sur leur chemin… Chemin qui va tous les mener sur l'île de Groix où les attend un étrange gourou de la musique électronique, une sorte de Raël de l'électro.
Faussement foutraque mais vraiment bien écrit, le scénario nourrit sa trame principale du récit en flash-back du passé des trois personnages principaux, qui n'hésitent pas à s'adresser à nous directement, face caméra. Ce qui nous donne un film alerte, rythmé et sans cesse surprenant, qui privilégie l'humour loufoque et la mélancolie douce. Les acteurs sont épatants, sans les citer tous on retiendra le toujours surprenant Eric Cantona, impayable en amoureux transi, d'abord intraitable et paranoïaque puis révélant au fil des péripéties une tendresse et une finesse de sentiments qui en font le véritable héros de l'histoire. Mention aussi à Damien Chapelle, très bon en coloc noctambule le cœur sur la main, et au génial André Wilms (le plus grand acteur français selon Aki Kaurismaki qui s'y connaît !), hilarant en chanteur azimuté en costume de Robby le robot. La cerise sur le gâteau déjà goûtu, c'est la musique électro de Sébastien Teller, particulièrement réussie et qui donnerait presque envie d'aller se « réécouter » le film une deuxième fois…