On le sait bien, qu’il va falloir trouver des solutions alternatives pour satisfaire les besoins exponentiels en protéines animales d’une population mondiale qui ne cesse d’augmenter. C’est ça, ou se mettre massivement au régime végétarien – a minima trouver un équilibre alimentaire respectueux des ressources naturelles qui ne sont pas inépuisables.
Veuve, mère de famille courage qui élève seule ses deux enfants, Virginie a abandonné l’élevage de biquettes qu’elle avait monté avec son compagnon pour se reconvertir dans la sauterelle. Un élevage d’avenir, elle en est sûr : d’abord, c’est tendance. Les bestioles, une fois grillées et épicées, agrémentent les apéros branchés, en proposant une alternative originale au bon vieux combo chips-saucisson, conditionnée et vendue dans des coopératives bio aux citadins en goguette… Mais l’activité a aussi des ramifications beaucoup plus lucratives. Élevées plus intensivement, les mêmes bestioles sont aussi la base d’une farine animale très protéinée dont raffolent les volailles d’élevage plus ou moins industriel. Seulement, l’élevage de la sauterelle n’étant pas enseigné dans les lycées agricoles ni promu par les chambres d’agriculture, Virginie se dépatouille comme elle peut, coachée en ligne par une internationale des éleveurs d’insectes très active, qui compare les climats, les espèces, les régimes et les rendements. Mais, avec ses moyens artisanaux, elle produit peu. Beaucoup trop peu, au regard des attentes de ses clients. Il lui faut augmenter coûte que coûte sa production, pour vendre suffisamment et faire face aux échéances de ses créanciers – oui, dans la sauterelle, l’engrenage est le même que dans n’importe quelle autre filière agricole. Et pour elle, pas question d’espérer une quelconque solidarité paysanne : pour le commun des mortels et les gens du village, elle est au mieux considérée comme une folle, au pire comme une espèce de sorcière – et suscite plus la méfiance et les quolibets que l’attention et l’entraide. Elle n’a guère comme allié qu’un jeune voisin vigneron, qu’avec son mari elle avait aidé à s’installer quelques années plus tôt. Un beau gars timide, qui en pince pour elle, et tente de l’aider, discrètement, coûte que coûte. Surtout, Virginie a deux gamins qui sont tout pour elle : sa raison de vivre, de faire face, bravement, à toutes les vicissitudes, et de s’accrocher à ses sauterelles. Même si, bien sûr elle a des phases de découragement… Un jour de désespoir, elle dévaste avec rage sa serre, tombe évanouie… et se réveille recouverte de sauterelles qui se repaissent du sang de la blessure qu’elle s’est faite au bras. Le lendemain la ponte est exceptionnelle. Virginie a trouvé la solution à ses problèmes. Très vite, l’exploitation grossit, les serres de sauterelles s’ajoutent aux serres de sauterelles, la production de farine explose. Mais il faut fournir aux bestioles le sang dont elles ont besoin…
Sur un canevas assez classique du cinéma fantastique (d’innocents animaux qui deviennent carnivores et destructeurs), Just Philippot compose un film très naturaliste, une peinture simple, attentive et très prenante des affres du monde paysan. Il prend le temps de décrire avec beaucoup de sensibilité les relations compliquées de Virginie et de sa fille, adolescente tour à tour aimante et revêche, qui souffre quotidiennement d’être « la fille de la folle aux sauterelles », et, comme toute gamine de la campagne, ne rêve que d’évasion, de grande ville et d’anonymat. Ce n’est qu’insensiblement que le film bascule dans un climat d’étrangeté retenue, dont on peine à discerner les contours tellement tout semble désespérément normal dans les situations – et dangereusement anormal dans le comportement de Virginie. Tout entière tendue vers un seul objectif, sauver son entreprise et sa famille, son parcours est une forte parabole du cauchemar destructeur de l’agriculture productiviste qui, en contraignant la nature, détruit aussi les humains.