Marie Dumora poursuit son exploration d’un fascinant territoire filmique avec un 5e documentaire en près de 20 ans sur une même famille. En 2001, Marie Dumora dévoilait son premier long, Avec ou sans toi, une immersion d’une année dans un foyer centrée sur quatre enfants qui y étaient placés, dont Belinda et Sabrina, deux sœurs âgées de 11 et 9 ans. En 2004, avec Emmenez-moi, la réalisatrice s’intéressait à un petit ami de Belinda avant de retrouver Sabrina devenue très jeune mère à l’âge de 15 ans dans Je voudrais aimer personne en 2010, puis en 2018 de redessiner trois étapes de l’existence de la cadette (à 9, 16 et 23 ans) dans Belinda. Un fascinant Boyhood documentaire sur une famille yéniche de l’Est de la France, à la fois romanesque et terriblement réaliste dans sa restitution de l’étau difficile à desserrer du déterminisme social et de la marginalisation, qui se poursuit et s’approfondit avec Loin de vous j'ai grandi, Cette fois, le protagoniste principal est Nicolas, le fils de Sabrina, un adolescent de 13 ans ayant été retiré à sa mère et placé en foyer dès sa petite enfance et que l’on découvre en prologue du film, en poussette, lors de son baptême sur des images extraites de Je voudrais aimer personne. À Schirmeck La Broque, dans le Bas-Rhin, au cœur de la vallée de la Bruche, la vie du jeune garçon se partage entre son quotidien au foyer (les relations avec les éducateurs, les résultats scolaires, les virées en forêt avec son copain Saef - un migrant tunisien ayant traversé seul la Méditerranée -, des sorties au bord du lac ou en spectateur d’une course automobile, une amourette à distance, des fugues à l’occasion, etc.) et ses retrouvailles régulières avec sa mère et ses deux (bientôt trois) demi-sœurs puisque Sabrina a refait sa vie avec un ferrailleur. Et se profile un choix complexe pour un adolescent qui ne veut blesser personne (à un âge où les questionnements et les incertitudes sont déjà par nature nombreux) : retourner ou non vivre dans une famille dont il est éloigné depuis 12 ans. Cinéaste de l’intime, Marie Dumora excelle dans l’art de laisser vivre les séquences. Par petites touches, le tableau d’ensemble se compose autour du lien affectif entre un fils et sa mère qui entre en résonnance avec une hérédité familiale et sociologique chargée ("nous, on n’a pas réussi grand chose dans la vie" confesse Sabrina à Nicolas). Un poids que la réalisatrice sait subtilement alléger en ne jugeant jamais ses personnages, mais au contraire en les observant attentivement, avec tendresse et sans manipuler les émotions. Une approche humble, riche d’humanité, allant de pair avec une parfaite maîtrise formelle (la cinéaste cadre – très bien - elle-même, et sait également ajuster la musique très à propos), qui fait de Loin de vous j'ai grandi un film touchant et un épisode supplémentaire dans une passionnante saga de cinéma documentaire, à la fois dure et douce à l’image de cette chanson écoutée par la famille recomposée : "ne regrette rien car tu le sais bien que dans une vie, il y a des soucis. J’ai l’espoir qu’un jour, la roue tournera."