Comme il serait agréable de voir un ciel étoilé trôner éternellement au-dessus de sa tête, pour changer des avions, des nuages de pollution et des câblages électriques ! D'avoir la chance de faire un pas de côté infime pour se rapprocher de la Grande Ourse, et paf, faire cuire ses coquillettes dans cette grande casserole céleste, obtenir une cuisson al dente à des années lumières… Puis faire une sieste digestive, en étalant son corps sur la Voie lactée… Bref, comme il serait agréable de pouvoir fantasmer la réalité sans paraître fou ! Et d'avoir la possibilité parfois de vivre seul avec ses névroses, comme Bruno, loin du regard des autres. Car s'il y a bien quelque chose que Bruno ne fait pas, c'est des concessions. Il préfère vivre à son rythme, choisit la liberté au conditionnement. Métro, boulot, dodo ? Non merci. Une femme, des gosses ? Bof… Les déclarations d'impôts en ligne ? Argffs… (attention à la date limite qui est au 22 mai 2018 pour la zone 1).
Ce qu'il lui faut Bruno, et d'urgence même, c'est de l'inspiration. Lui qui, vingt ans plus tôt, a fait sensation avec son premier roman, planche toujours sur le deuxième. Entièrement rédigé du point de vue d'une tique qui guette patiemment sur une branche le passage d'une proie et qui philosophe… Comment ne pas y voir une métaphore de sa propre condition ? Lui aussi attend son heure, le déclic qui inverserait un quotidien statique : se lever chaque jour à 14 heures et vivoter en peignoir, avoir pour seuls interlocuteurs son perroquet et sa colocataire, une Femen activiste (la craquante Alma Jodorowsky, petite-fille du célèbre Alejandro Jodorowsky !) dont le mode de vie est à rebours du sien… Rien de très alarmant non plus : combien de gens comme Bruno disparaissent un peu du monde, en attendant qu'un chef d'œuvre sorte du placard ? C'est le lot de bien des artistes à la limite de la marginalisation, incroyablement talentueux et invisibles, qui n'ont pas réussi à se greffer à un milieu, ni à percer…
Mais ses proches s'inquiètent et débarquent un jour sans crier gare : la mère, le père, l'ex-femme, le pote perdu de vue… Et Sophie, une parfaite inconnue au regard passe-murailles. Une jolie frimousse aux airs de belette, dont Bruno tomberait volontiers amoureux… Sauf que Sophie est une psy chargée par la famille d'envoyer le reclus à l'asile ! Bref : c'est mal barré. Quoiqu'elle semble réaliser que Bruno, au physique ambivalent, un peu bizarre, a ce brin de séduction qui vous fait vivre des instants magiques… Et si la puissance créatrice de Bruno remportait la partie ?
Tout cela donne un film qui ne rentre dans aucune case sur un homme à qui il en manque probablement une. À la fois comédie sur les névroses et fragment d'un discours amoureux, Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête est une curiosité hors-norme, fébrile, qui se fiche des qu'en-dira-t-on, pour notre plus grand bien. C'est ainsi qu'Ilan Klipper, qui s'était fait connaître par des documentaires traitant de lieux dont la charge institutionnelle brise tout ce qui sort de l'ordinaire (Sainte-Anne, Commissariat), signe ici un premier film de fiction où c'est le sens commun qui est broyé. On termine avec lui, qui nous explique le titre qu'il a choisi : « Ce sont les dernières phrases de La Critique de la raison pratique de Kant, que je trouve très belles : “Deux choses remplissent le cœur de crainte et d'admiration, le ciel étoilé au-dessus de moi, et la loi morale en moi.” »