Tout comme Gloria et Une femme fantastique, les deux films précédents et de belle mémoire de Sebastián Lelio, Désobéissance reflète une humanité complexe, riche de ses contradictions, assoiffée de libre arbitre donc de transgression. Aucun personnage n’est laissé à l’abandon. L’œil de la caméra les débusque, attentif, au plus profond de leurs retranchements secrets. Il sait décrypter l’empathie sous un regard colérique, les plus infimes fêlures sous un sourire radieux, la fragilité qui fissure une chape d’assurance. Il dévide chaque histoire intime jusqu'à illustrer un propos universel, qui les dépasse toutes et nous touche en plein cœur.
Ce jour-là, les derniers mots du rabbin (rav) Krushka résonnent au fond de la petite synagogue londonienne de façon surprenante. Loin des discours en usage dans cette communauté juive sévèrement orthodoxe, ils sont un appel au respect de la liberté de choix de chacun. Ils nous poursuivront tout au long du récit, pour prendre toute leur ampleur lors d’un épilogue qui les transformera en véritable testament, un appel à la vie.
De l’autre côté de l'océan, à Manhattan, un coup de téléphone sonne le glas d’une possible réparation, d'une éventuelle paix intérieure dans la vie de Ronit. La photographe, toute reconnue qu’elle soit, perd soudain toute son assurance. La voilà submergée par une étrange agitation intérieure. Sans qu’une parole soit prononcée, on perçoit sa peur du vide, une solitude trop grande pour être noyée dans un verre d’alcool ou dans les bras d’un amant de passage. On comprendra bientôt que le rabbin Krushka était son père et que les deux ne se sont pas séparés dans les meilleurs termes. Est-on un jour finalement libéré de sa famille, de ses racines, de tous ces mots d’amour qu’on a fait taire au profit de la colère ?
Lorsqu'elle débarque sans prévenir dans la communauté endeuillée, Ronit n'est guère mieux reçue qu’une brebis porteuse de la gale. Seul Dovid l’accueille les bras ouverts, enfin presque, puisqu'il lui est interdit ne serait-ce que de frôler le corps d’une autre femme que la sienne. Si les gestes ne sont pas là, les regards échangés en disent long sur leur amitié passée. C'est le seul appui de la revenante face à l’hostilité ambiante : si tous restent polis, les langues se délient, venimeuses, malgré les inévitables formules de politesse. « Que ta vie soi longue ! » lui dit-on, alors que les esprits semblent vouloir la réduire au néant où elle avait sombré après tant d’années d’absence. D'ailleurs, ni le faire-part de décès ni le testament du paternel ne la mentionnent, comme si elle n’existait plus ou, pire, comme si elle n’avait jamais existé. On mesure un peu plus à chaque instant à quel point Ronit, reniée par l’ensemble de son ancien entourage, a perdu son statut de fille légitime tandis que tous considèrent Dovid comme le fils spirituel du Rabbin Krushka, l’héritier de ses enseignements…
Alors que si peu osent regarder Ronit en face, il y en a une qui l’observe, souriante, réservée, anxieuse sous sa perruque qui conserve méticuleusement cachés ses cheveux et ses pensées. Esti… Voilà le trio inséparable de jadis, Dovid, Ronit et Esti, à nouveau réuni dans la même pièce. Entre temps Esti est devenue la femme de Dovid. Les murs semblent les épier comme à l’affût des signes précurseurs d’une violente tempête.
Si les liens qui unissent ces trois-là restent tout d’abord mystérieux, on découvrira que les deux filles sont celles par lesquelles le scandale est arrivé. Un scandale impossible à pardonner, malgré les années d’absence, malgré la docilité ostentatoire d’Esti, devenue un parangon de vertu, un exemple pour toute une société rigide et ultraconservatrice qui n’admet pas qu’on sorte de ses rangs. Mais entre Ronit et Esti, l'amour est toujours là, synonyme de désobéissance…