Ce film est ainsi : ce sont six histoires. Quatre qui commencent, et qui ne se terminent pas. Elles s’arrêtent à mi-parcours, ce sont quatre commencements. Puis une cinquième histoire commence, s’achève, et laisse place à la sixième qui commence au milieu, et met un point final au film. Le film s’intitule La Flor, et les six histoires ont pour seul point commun quatre actrices, jouant à chaque fois un rôle différent. Le film se fait avec elles et, en quelque sorte, est un film sur elles.
Le premier épisode nous plonge en pleine pampa, dans un centre d’archéologie où deux laborantines reçoivent, au seuil des vacances, le colis d’une momie quechua qui les oblige à rester seules sur place. Or, l’entité, dotée d’étranges pouvoirs, prend bientôt possession d’une employée, lui insufflant une puissance surnaturelle. Adoptant les codes d’une petite série B horrifique, l’épisode, quelque peu ingrat (tourné en 2009 en vidéo basse définition), fait peu à peu sourdre l’inquiétude de l’isolement et de la réclusion de ses personnages, suggérant l’irrationnel à partir de trois fois rien.
Le deuxième épisode, drame musical visuellement plus ambitieux, constitue l’un des sommets de l’ensemble. L’histoire est celle d’une chanson qui ne parvient pas à se faire, parce qu’un duo de stars de la variété, couple en voie de séparation, refuse de se trouver en présence dans le même studio d’enregistrement. Chacun de son côté revient obsessionnellement sur le moment fatidique où leur relation amoureuse et artistique s’est nouée, au long de merveilleux flash-back en noir et blanc. Tandis qu’en filigrane – Llinas pratiquant magistralement l’art du coq-à-l’âne – une société secrète cherche à mettre la main sur un élixir de jouvence tiré du venin d’un scorpion. À la fin, les deux chanteurs se lanceront au visage les mots violents et définitifs de leur propre chanson, lors d’une scène sublime et déchirante, venue couronner le lyrisme échevelé de l’épisode.
D’entrée de jeu, La Flor fonctionne sur un paradoxe captivant : le film a besoin d’en passer par un dispositif narratif très complexe, pour générer des moments simples (un homme et une femme se quittent en chantant), des scènes filmées sans fioritures (souvent en plans-séquences), entièrement au service de ses quatre actrices. Ce sont elles qui occupent le centre de la mise en scène, et plus précisément encore leurs visages, auxquels se rapportent sans cesse la plupart des cadres comme la sensation du monde alentour.
Véritable symphonie de visages, le film scrute à leur surface le mystère de l’incarnation, ce don de l’acteur qui emporte la conviction, donne corps à la fiction et nous fait croire aux histoires les plus extravagantes. Mais le visage est aussi le lieu de la parole, autre point fondamental du film qui joue sur tous les registres de celle-ci (dialogues, voix off, chansons, messages) et parle en plusieurs langues (espagnol, mais aussi français, italien, catalan, allemand, russe, etc.). La Flor s’invente ainsi une énonciation littéraire aux accents parfois sublimes. Fabulatrice ou performative, portée vers le récit ou la confession, la parole suscite la fiction et fait surgir autour d’elle tout un monde fantasmatique.
À suivre...