Great Freedom

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L'histoire de Hans Hoffmann. Il est gay et l'homosexualité est illégale selon le paragraphe 175 du Code pénal allemand. Mais il s'obstine à rechercher la liberté et l'amour même en prison…

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Festival de Cannes 2021 : Un certain regard

Amour de perdition

La grande liberté est le deuxième long métrage de fiction du réalisateur autrichien Sebastian Meise – remarqué pour ses courts métrages Prises de vues (2003), Random (2005), Dämonem (2006) – après Stilleben (2011). Il évoque l’acharnement judiciaire dont est victime un homme déporté en raison de son homosexualité, en vertu du paragraphe 175 du Code pénal allemand qui a réprimé ces pratiques “contre nature” jusqu’à la fin des années 60. Dans l’Allemagne de l’après-guerre, c’est en détention qu’il tombe amoureux de son compagnon de cellule condamné pour meurtre. Au point de devenir accro à la captivité et de multiplier les condamnations pour outrages aux bonnes mœurs en fréquentant les lieux les plus sordides. Face à Franz Rogowski, issu de la prestigieuse Schaubühne de Berlin et vu en compétition à Cannes dans Happy End (2017) de Michael Haneke et Une vie cachée (2019) de Terrence Malick, on retrouve l’Autrichien Georg Friedrich, ours d’argent du meilleur acteur à la Berlinale 2017 pour Helle Nächte de Thomas Arslan. Le scénario de ce film éclairé par la Française Crystel Fournier, qui a accompagné Céline Sciamma jusqu’à Bande de filles (2014), a été écrit par le metteur en scène et son complice habituel Thomas Reider, avec lequel il a également réalisé son unique documentaire à ce jour, Outing (2012) à partir de la confession à visage découvert d’un pédophile. C’est Paname qui distribuera La grande liberté en France.

 

 

Great freedom est un film de prison exceptionnel, absolument hors-norme. Il n’exploite aucun filon ni ressort habituels à ce genre. Il n’y sera pas question de logistique quotidienne, de cruauté de gardiens zélés ; il n’y aura pas d’agressions sexuelles, ni de rivalités de gangs, et n’y sera pas non plus appuyée la violence systémique de l’institution. Il n’y a pas de rêve d’évasion et aucun plan n’est élaboré en ce sens : même le temps supposé long qui sépare notre héros de la fin de chacune de ses peines ne l’est pas, puisqu’il n’en est tout simplement jamais question.
Le film se déroule donc quasi exclusivement dans une prison, quelque part en Allemagne, sur trois périodes entre 1945 et 1969. Nous y suivons les incarcérations répétées de Hans, pour seul motif qu’il est homosexuel, puisque le paragraphe 175 du code pénal allemand a criminalisé l’homosexualité entre 1872 et 1994 !
Si 1945 a marqué la libération des camps, on ne peut pas forcément en dire autant des êtres humains qui y étaient enfermés. Après qu’il a survécu à des mois d’internement dans un camp de concentration nazi, comme il était d’usage sous le régime du IIIe Reich de traiter les homosexuels, c’est sans complexe que l’Allemagne d’après guerre transfère Hans directement en prison afin qu’il y purge les 4 derniers mois des 18 auxquels il a été condamné.
Et c’est cette dialectique que le film parvient brillamment à mettre en scène : l’Histoire avance sur sa ligne droite, de tous ses progrès, de tout son orgueil, tandis qu’une deuxième temporalité, celle étouffée de la domination, est statique. Vicieusement et désespérément statique. Alors on arrache les insignes du pouvoir déchu sur les uniformes, mais fondamentalement les instruments de la répression ont à peine changé de visage. Et le pire, c’est que pour les homosexuels, l’emprisonnement ne s’oppose en aucune manière à la liberté : hors de la prison, il n’y a rien de désirable, il n’y pas plus de place pour exister. « Dehors, dedans, ça ne fait aucune différence pour moi » dira Hans. De ces différentes incarcérations, dont on glisse des unes aux autres via l’usage signifiant d’un noir étourdissant, se crée un enchevêtrement serré, la prison constituant alors une boucle sans fin, celle de l’oppression et de la domination.
Et pourtant, malgré l’âpreté de cette réalité historique, le film ne manque pas de lumière. En son cœur il y a l’énergie de l’amitié, que Hans va tisser avec un autre détenu. Et à l’image de ce désir d’amour intarissable qui l’anime, de cet élan vital qui l’habite envers et contre tout, il trouve la lumière dans les interstices du système carcéral. De même le film trouve des espaces de liberté en faisant du tricot de peau réglementaire des prisonniers ou de la cigarette autorisée un subtil espace érotique.
La mise en scène sobre de Sebastien Meise est au service d’un film d’une grande amplitude. Et c’est clairement ce qu’on aime au cinéma : quand un film embrasse à la fois une dimension politique et une esthétique sensible, et que l’une se nourrit de l’autre.