Réalisé en 1969 par le grand Joseph Losey (Eva, Monsieur Klein), Deux Hommes en fuite est un film à double face, formidablement interprété par Robert Shaw (le futur Quint des Dents de la mer) et Malcolm McDowell (tout juste révélé par le film de Lindsay Anderson If…). Le cinéaste signe d’abord un film d’action haletant de bout en bout, dont la particularité est qu’il se joue uniquement au temps présent. Ces deux hommes que tout oppose restent une énigme pour le spectateur : on ne connaîtra rien d’eux, à part leur nom et quelques (rares) bribes de leur passé. Quels crimes ont-ils pu commettre pour en arriver là ? À qui tentent-ils d’échapper ? Telles sont les principales questions restées en suspens, laissant la part belle à l’imagination de chaque spectateur. Contrairement à son adaptation cinématographique, le roman original est lui beaucoup plus explicite : le lecteur y apprend dès le départ que ses héros se sont échappés d’un camp situé quelque part en Asie. Jugeant le récit un peu trop raciste à son goût – surtout durant le contexte explosif de la guerre du Vietnam –, Joseph Losey confie la réécriture de l’histoire à l’un de ses acteurs principaux, Robert Shaw, également romancier. Il en profite au passage pour étoffer son personnage, balançant constamment vers la folie et n’hésitant pas à user de la violence pour survivre, entraînant avec lui son acolyte – que l’on devine plus novice en la matière. MacConnachie et Ansell sont finalement les seuls véritables êtres humains du film puisque les rares individus qu’ils croisent sont soit muets – comme la femme veillant sur son mari défunt – soit chosifiés – comme le pilote de l’hélicoptère. Mais le tandem se déshumanise progressivement pour devenir de véritables bêtes traquées à mesure que cette chasse à l’homme les épuise et leur fait perdre la raison. Véritable cauchemar éveillé, Deux hommes en fuite est aussi une puissante parabole sur la survie et l’oppression, qui servira bientôt de modèle à d’autres grands films du genre comme Runaway Train d’Andrei Konchalovsky ou Essential Killing de Jerzy Skolimowski. À contempler enfin dans sa somptueuse version restaurée !