CANNES 2018: HORS COMPÉTITION
L’espion qui venait du Sud
Tourné début 2017, donc dans un contexte politique à très haute tension qui contraste avec l’atmosphère de décrispation actuelle, The Spy Gone North est le cinquième long métrage du réalisateur coréen Yoon Jong-bin qui a signé successivement The Unforgiven (2005), Beastie Boys (2008), Nameless Gangster (2012) et Kundo (2014). Cet adepte du cinéma de genre raconte dans son nouveau film la mission dans les années 1990 en Corée du Nord d’un espion envoyé du Sud afin de collecter des informations sur le programme nucléaire de son menaçant voisin. Le film a pour interprète principal le très populaire Hwang Jung-min, vu notamment à Cannes dans des films comme A Bittersweet Life (2005) de Kim Jee-woon et The Strangers (2016) de Na Hong-jin, mais aussi dans Battleship Island (2017) de Ryoo Seung-wan. À ses côtés : Lee Sung-min, acteur chez Park Chan-wook et Lee Chang-dong et couronné du prix de la Fipresci en tant que réalisateur pour Crying Fist, présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2005.
Prenant place au début des années 90, The Spy gone north débute de manière efficace en envoyant en mission l’agent sud-coréen See Young s’infiltrer en Corée du Nord afin de dénicher une information capitale au sujet de l’arme nucléaire. À cet instant, la Corée du Sud est dans le flou total : les voisins du Nord seraient-ils déjà en sa possession ? La première partie du film, très immersive, nous rappelle instantanément l’époque du thriller paranoïaque des années 70. See Young devra devenir un homme d’affaires et la moindre erreur pourrait lui coûter très cher. Dès son arrivée en Corée du Nord, il sait pertinemment qu’il va être surveillé, d’où les nombreux micros cachés un peu partout qu'il a trouvés dans sa chambre d’hôtel. Pour ferrer le gros poisson, il devra jouer double jeu afin de solidifier toujours plus une couverture très fragile, quitte à flirter avec la mort.
Cette histoire – vraie – dite de l’espion appelé « Black Venus », passionnante au demeurant, s’avère bien vite une sorte de prétexte pour mieux plonger au cœur des relations glaciales entre les deux Corées. Le Nord nous est montré en guerre, sous le joug de la dictature qui y règne encore aujourd’hui, tandis que le Sud tente de faire bouger les choses, de se développer et de prospérer. Alors que le stratagème commercial porte ses fruits et que l’agent See Young approche finalement le général Kim-Jong-Il (père de l’actuel Kim-Jong-Un), la mission va prendre une tout autre tournure lorsque les masques commencent à tomber. Ces échanges avec le général sont travaillés dans la mise en scène tout en tension, alors qu’un ou deux éléments penchent du côté du burlesque, mélange détonant dont est coutumier le cinéma coréen. La ressemblance du comédien interprétant le général est bluffante et la reconstitution impeccable.
Ample, de par sa longueur et le lyrisme de sa mise en scène, assez éloigné des polars retors et violents qui sont également la marque du cinéma coréen, ce Spy gone north se savoure en tant que leçon d’histoire traitée à la manière d’un pur film d’espionnage à l’ancienne, où les filatures et les champs/contre-champs serrés remplacent les courses-poursuites et les bastons. Le film s'impose ainsi comme l’un des rares et des meilleurs à traiter des relations complexes entre les deux Corées depuis le Joint Security Area de Park Chan-Wook, programmé chez nous l'été dernier.