Il a fière allure, Daniel, devant sa glace. Rasé de près, sourire enjôleur, chevelure très légèrement gominée, il semble demander à ce beau gosse qui lui fait face : « Hé mec ! mais quel est donc le secret de ton succès, de ta forme, comment se prénomme ta bonne fée ? ». Tout en effet paraît réussir à ce talentueux comédien allemand : une carrière internationale, une femme forcément belle et amoureuse, des enfants pleins de vie, un duplex dans un quartier branché de Berlin et une nounou à plein temps pour soulager cette belle petite famille chic. On a beau le reconnaître dans la rue (il adore ça), il a beau signer des autographes et se prêter volontiers à l’insupportable petit jeu des selfies, il est resté finalement un garçon simple. Quand on le voit à la télévision, sur grand écran ou si on a la chance de le croiser en vrai, pour sûr qu’on se dit que le succès ne lui est pas monté à la tête.
C’est donc tout à fait confiant, fort de toute cette belle énergie que Daniel quitte femme, enfant, nounou et appartement pour se rendre à l’aéroport, direction Londres. Il est néanmoins quelque peu tendu car le casting qu’il doit passer n’est pas tout à fait anodin : il s’agit d’une superproduction hollywoodienne et c’est un rôle tout ce qu’il y a de plus sérieux, un premier et pas des moindres : super héros. Comme c’est un garçon extrêmement prudent, il a pris pas mal d’avance sur son timing et décide donc de pousser les portes du petit troquet du coin pour prendre un dernier café et répéter une dernière fois son rôle. En bon citoyen qui n’a pas oublié ses origines, il y a parfois ses habitudes et même si le bistrot semble être resté bloqué à la présidence de Walter Ulbricht, l’endroit a un charme désuet. Très très mauvaise idée.
Car il n’est pas seul. Un certain Bruno est attablé et il a déjà avalé quelques pintes. Au début, il lui demande un simple autographe… au début seulement. Le Bruno en question est un gros balèze qui ne se laisse pas impressionner par grand chose, et certainement pas par la notoriété de ce petit mec bien propre sur lui dont il connaît toute la filmographie. Qui est Bruno ? Un comédien raté qui veut prendre sa revanche sur une vie minable ? Un ancien agent de la STASI ? Un simple pilier de bar ou un gars du voisinage ? Vous le révéler ne serait vraiment pas sympa tant le charme et l’efficacité dramatique de Next door repose entièrement sur la confrontation de ces deux-là.
Pour sa première réalisation, Daniel Brühl revisite le genre du Kammerspiel (« technique dramatique propre au cinéma et au théâtre allemand des années 1920, visant à créer un naturalisme intimiste et dépouillé » : vous ne connaissiez pas ce mot, moi non plus, je vous rassure, comme quoi on en apprend tous les jours en lisant la gazette), En se mettant en scène, l’acteur fait preuve de beaucoup d’auto-dérision et n’épargne pas son alter ego, comédien vaniteux faussement modeste qui tombe peu à peu de son piédestal. Ce huis-clos très efficace joue aussi sur le physique très dissemblable des deux personnages, sur la fausse modestie de l’un qui a intériorisé la superficialité du showbiz et l’orgueil blessé de l’autre, éternel « ossi ». Une vraie réussite.