Twist à Bamako

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1962. Le Mali goûte son indépendance fraîchement acquise et la jeunesse de Bamako danse le twist des nuits entières. Samba parcourt le pays pour expliquer aux paysans les vertus du socialisme. Il rencontre Lara, une jeune fille mariée de force, dont la beauté et la détermination le bouleversent…

Vos commentaires et critiques :

 

« Comme disait Lénine, le socialisme, c’est le Soviet plus l’électrification... plus le twist. »

1962, le Mali devenu indépendant est dirigé par Modibo Keita, partisan (et artisan malheureux, avec entre autres Sédar Senghor et Houphouët-Boigny) d’un fédéralisme panafricain. Socialiste convaincu, il met en place les structures qui, en régulant l’activité économique, permettront une meilleure redistribution des richesses et mèneront sans coup férir son pays, porté par la ferveur d’une jeunesse éduquée et dynamique, sur la voie du développement. Élève brillant, fils aîné modèle d’une famille de commerçants aisés de Bamako, Samba fait partie de cette jeune garde enthousiaste, qui met tout son cœur dans sa mission d’éducation populaire. Avec une paire d’amis, il sillonne tout le jour le pays pour rallier à l’effervescence révolutionnaire des villages dont l’organisation traditionnelle, féodale, patriarcale, s’accommode plus facilement du colonialisme que des vertus de la collectivisation et de la solidarité. Le soir, nos révolutionnaires se pressent dans les clubs de la ville où la fête bat joyeusement son plein au son des vinyles venus de France, d’Angleterre et des États-Unis. Toute une jeunesse avide de liberté se déhanche sans complexe sur la musique « impérialiste », suscitant l’inquiétude des cadres du Parti, qui conçoivent mal que la rigueur morale que nécessite la révolution puisse être compatible avec l’insouciance de la fête. Au grand désarroi également des réfractaires aux idéaux du socialisme, qui craignent de voir disparaître dans le twist la culture traditionnelle… (c’est pourtant précisément dans ce bouillonnement idéologique et culturel qu’éclosent les musiques populaires et métissées des Ali Farka Touré et autres Boubacar Traoré, qui enflammeront les populations et feront rayonner la culture du pays).
Qu’importe, tout est dans l’énergie déployée par les icônes rebelles : les murs des chambres des adolescents se couvrent des portraits de leurs nouvelles idoles. John Lee Hooker, James Dean, Johnny Hallyday et Claude François y côtoient dans une belle et fulgurante cohérence les figures de Hồ Chí Minh et (évidemment) Lumumba. Au cours d’une mission dans un village éloigné, la petite équipe de Samba se retrouve enrichie d’une nouvelle recrue clandestine : mariée de force au petit-fils du chef du village, Lara a été particulièrement sensible au discours émancipateur des garçons en uniforme, et s’est nuitamment glissée dans leur voiture. Bouleversé par sa détermination (et sa beauté), Samba la ramène à Bamako. Amour et révolution ne cohabitent pas facilement, mais Lara et Samba espèrent que, pour eux comme pour le Mali, le ciel s’éclaircira…
L’écriture comme la reconstitution sont évidemment extrêmement documentées et soignées. C’est important car la responsabilité est énorme pour qui ambitionne de restituer la ferveur révolutionnaire post-coloniale en Afrique sub-saharienne, en insistant fortement sur la situation des femmes et la création d’un nécessaire « code de la famille ». Robert Guediguian s’applique à retranscrire ces mouvements dans une impeccable chronologie, habitée par le romanesque humaniste qu’il sait si bien manier. Racontant à hauteur d’homme, sans faire de Samba un alter-ego ni s’approprier son histoire, on sent bien que le réalisateur se reconnaît dans ce moment d’histoire dont les échos ont, de loin, accompagné sa jeunesse. On retrouve les aspirations politiques, l’idéalisme, le désir d’émancipation autant nationale et sociale que familiale, toutes thématiques qui parsèment sa filmographie. Particulièrement sa capacité à documenter, dans l’Histoire, les espoirs qui ont porté, sur tous les continents, les gauches humanistes au pouvoir – et les échecs qu’elles ont essuyés. De ce fait, Samba et ses amis nous sont aussi immédiatement familiers que les copains marseillais des contes de l’Estaque. Et sous la caméra généreuse de Guediguian, le rêve de socialisme qui a accompagné l’indépendance du Mali devient, fraternellement, un peu le nôtre.