Vous ne connaissez pas Bollène ? C'est une petite ville du Sud-Est de la France qui avait tout pour le bonheur. À trois jets de pierre d'Avignon et d'Orange, un coin chaleureux, vivant, au climat méditerranéen, une terre fertile et convoitée, une histoire mouvementée faite d'invasions, de conflits : Wisigoth, Burgondes, Ostrogoths, Romains… s'y sont succédés, laissant autant de traces. On connait bien ! Utopia est né à deux pas de là, même qu'à la demande du maire PC de Bollène, agriculteur humaniste et bienveillant, une poignée de joyeux Utopistes était venue dans les années 1980 ranimer la petite salle de ciné qui jouxte la mairie… mais c'est une autre histoire.
Puis le Sud-Est a basculé progressivement, la méfiance, les rancœurs, les jalousies ont pris le pas sur la générosité et l'esprit d'ouverture. Au gré des élections, les nouveaux venus ont conforté le repliement sur soi d'un cœur de ville qui s'est ratatiné sur lui-même. « On n'a même pas le FN, on a la Ligue du Sud » dit un personnage du film, évoquant le micro-parti d'extrême-droite qui revendique « Tradition et Enracinement » encourage la « lutte contre le communautarisme et le Grand Remplacement ». Tout un programme, porté par le maire d'Orange et son épouse, elle-même maire de Bollène, qui privilégie à outrance les « Français de souche » et rejette les autres vers des cités délaissées… (voir l’excellent film Mains brunes sur la ville en Vidéo en Poche)
Nassim a une trentaine d'année, il vit à Abu Dhabi avec sa fiancée américaine. On peut dire qu'il a réussi, il parle plusieurs langues, a un boulot confortable, des perspectives d'avenir excellentes et, après plusieurs années d'absence, revient vers ses racines, sa mère, sa famille, ses amis… qui eux n'ont pas quitté cette cité où il est né, aux marges de Bollène.
Il n'imaginait pas que ce retour aux sources allait le tournebouler autant. Elisabeth, son amoureuse, l'accompagne, heureuse d'avance d'en savoir plus sur ces liens inscrits dans le filigrane de Nassim. Mais rien ne va se passer simplement, Nassim retarde le moment des présentations, prend une chambre à l'hôtel. Il était parti fâché avec son père, en colère contre une vie qu'il rejetait, une appartenance sociale qu'il refusait. Il se voulait différent, se croyait immunisé contre ses origines… et se découvre vulnérable, définitivement lié à ce lieu initial, ses souvenirs, ce tissu familial, prenant conscience que cet endroit qu'il a fui lui colle définitivement au cœur. On ne se débarrasse pas comme ça de son histoire.
Il y a quelque chose de formidablement intime et en même temps d'universel dans la façon dont Saïd Hamich aborde le séisme que provoque chez Nassim ce voyage au cœur de ses racines : la tendresse de sa mère, les échanges avec ses sœurs, les bavardages entre amis, cette rencontre avec un ancien prof qu'il aimait et raconte si bien le chemin parcouru, signant le constat sans appel du délitement des idéaux d'une société à la dérive. Nassim croyait s'être affranchi de ce qui le fondait et découvre que pour en guérir, il faudra bien qu'il l'accepte. Moment formidable quand il se retrouve enfin face à son père, confrontation quasi silencieuse, faite de gestes minuscules, où les non-dits parlent plus fort que les mots, les apparentes banalités plus que les grandes phrases. C'est beau à en pleurer, comme l'amour qu'on n'arrive pas à dire, mais qui transpire de chaque image. Beau comme ce message qu'il ne laissera pas sur le répondeur de son amoureuse qui a quitté Bollène plus tôt que prévu…
C'est un film subtil et fort, une petite merveille qui raconte à travers une histoire singulière une histoire plus vaste qui nous concerne tous, impacte nos vies et, insensiblement, nous dévore de l'intérieur.