À coups de gags hilarants, de situations cocasses, de dialogues ciselés, Samuel Benchetrit réussit le tour de force de nous parler de sa banlieue sans la caricaturer et en bousculant les clichés. Son Asphalte est une merveille de comédie loufoque, intelligente et humaine, qui fuse en tous sens. Qui dit immeuble dit ? Copropriété ! Qui dit copropriété dit ? Réunion des copropriétaires ! Le début des emmerdements donc ! Quoi de plus laborieux que d’essayer d’obtenir l’unanimité dans un tel groupe ? Eh bien là, pour une fois, c’est idyllique : tous sont d’accord pour se cotiser afin d’avoir enfin un ascenseur qui fonctionne. Tous ? Lorsque qu’on s’apprête à voter pour entériner la décision, un doigt désabusé se lève, le doigt d’un gros ours bourru apathique… « Oui ? Monsieur Sternkowitz ? » interroge le meneur de la réunion, découragé par avance… « Moi je suis pas d’accord » laisse tomber le gonze partisan de l'escalier pour tous, qui n'est autre que Gustave Kervern au sommet de son art de bougonneur magistral. Consternation, agacement, argumentation : conciliabule entre les autres usagers. Sentence : Sternkowitch est dispensé de mettre la main à la poche mais il lui est formellement interdit d’utiliser le dit monte-charge. Bien sûr, le destin va lui jouer un fameux tour, un retour de pédale pour son manque de solidarité ! Et l’entêtement de ce locataire du premier va prendre des proportions telles qu’on ne pourra que rire de ses malheurs en se disant que, décidément, certains on l’art de scier la branche sur laquelle ils sont assis. Aux autres étages aussi il s’en passe, des choses ! De véritables tragi-comédies inattendues dans lesquelles l'absurde tutoie le poétique. Au troisième, c'est une grande actrice qui vient s'échouer, tel un cétacé en perdition, un peu désorientée d'être tombée de son piédestal (Isabelle Huppert, qui excelle décidément dans les rôles drôles). Un brin pimbêche mais d'une telle fragilité attachante que Charly, son voisin de palier, un ado joli comme un cœur, va venir à sa rescousse… C'est une rencontre gourmande entre ces deux êtres délaissés, où chacun met la barre haut, ne fait aucun cadeau à l'autre et l'oblige à se redresser. Mention spéciale à Jules Benchetrit, le fils du réalisateur, qui interprète Charly et fait une première apparition brillante au cinéma !
Chaque étage recèle ainsi son lot d'humanité bariolée. Et même sur le toit, il y a de la vie ! Surtout quand un cosmonaute tombé du ciel atterrit sous le nez de junkies tellement stone qu'ils ne cillent même pas en apercevant capsule spatiale et parachute. Notre pauvre Yankee, paumé, à la recherche d'une âme secourable, sonne à la porte de Madame Hamida, un vrai bonheur de femme généreuse qui a le cœur sur la main, la langue bien pendue et du couscous à revendre. Trop heureuse de cette compagnie inespérée, la voilà qui se colle à ses tajines et essaie de lui faire avaler tous les plats qu’elle ne peut plus cuisiner pour son fils (de retour à la case prison). Notre agent de la NASA, qui ne pige mot, est d’abord méfiant : tout adorable qu’elle soit, cette dame est incontestablement arabe et donc possiblement « terroriste » ! Ce que redoute également son QG… Mais une sombre histoire de rivalité entre nations (pour la conquête des étoiles) fait que ses compatriotes sont prêts à laisser leur camarade en pâture à l'inconnue…
Plus loin, une infirmière au regard et à la voix extrêmement suaves (forcément : c'est Valéria Bruni Tedeschi) trompe l'ennui en faisant des ronds de fumée dans la solitude de la nuit… Jusqu'à l'arrivée d'un prince bedonnant chevauchant un étrange destrier, prince du bitume qui n'est autre que Sieur Sternkowitch, toujours en guerre contre son ascenseur, à moins que ce ne soit l'inverse !