La cantatrice chauve
Pour apprécier à sa juste valeur le nouveau film de Stephen Frears, il faudra en oublier un autre, celui de Xavier Giannoli. Oublier Marguerite… enfin, pas vraiment l'oublier complètement… mais plutôt accepter de se laisser raconter sensiblement la même histoire d’une tout autre manière. Il est sans doute dommage que quelques mois seulement séparent les deux opus, mais il serait encore plus dommage de vous priver de l’interprétation émouvante et grandiose de Meryl Streep dans le rôle de Florence Foster Jenkins.
Le paragraphe précédent ne concerne évidemment pas celles et ceux qui n'ont pas vu Marguerite avec l'également superbe Catherine Frot, et qui découvriront donc Florence Foster Jenkins avec des yeux et des oreilles tout neufs.
Le film de Stephen Frears est un portrait fidèle de la chanteuse soprano américaine, célèbre dans le monde entier… pour son manque total de rythme, sa prononciation aberrante et d’une manière générale son incapacité à chanter juste ou à tenir une note ! En dépit d’une éducation musicale complète comme la grande bourgeoisie américaine savait la prodiguer à la fin du 19e siècle, et malgré un intérêt frisant l’addiction pour la musique avec laquelle elle vivait presque nuit et jour, il faut bien le dire tout net : Florence chantait comme une casserole.
Le film ne s’attache qu’aux derniers mois de son existence : Florence est déjà la fameuse fondatrice et bienfaitrice du Club Verdi, qu’elle finance généreusement. Elle aime par dessus tout organiser des récitals dont le clou est l’arrivée spectaculaire sur scène de sa propre personne dans des tenues extravagantes – traduisez : la plupart du temps totalement ridicules – dont la chronique raconte qu’elle les dessinait et confectionnait elle-même. Mais Florence est aussi une vieille dame à la santé sur le déclin qui tente par tous les moyens de se rattacher au sel de sa vie : la musique. Son dernier rêve, sa dernière folie : se produire sur la glorieuse scène du Carnegie Hall de New-York.
La beauté du personnage, ce qui en fait un être bouleversant de candeur et de fragilité, c’est que jamais Florence n’a failli dans la foi qu’elle portait en son talent de soprano. Était-ce son rêve d’enfant qu’elle ne voulut jamais lâcher, même à soixante-dix ans passés, ou bien une manière de côtoyer au plus près des étoiles les âmes des plus grands compositeurs ?
Sous la direction alerte d'un Stephen Frears très en forme, Florence Foster Jenkins avance au rythme joyeux de la comédie, enlevée par une Meryl Streep magnifique et touchante, qui se garde de tout cabotinage, entourée d'une kyrielle de personnages secondaires tous plus attachants les uns que les autres : le mari dévoué corps et âme menant double vie, le pianiste tiraillé entre la peur du ridicule et la soif de reconnaissance, et quelques personnages à la zazou, hauts en couleurs, qui annoncent la fin d’une époque, celle de Florence, et l’avènement d’une autre, dont la bande son fera une grande place au jazz.
Florence Foster Jenkins, le film qui chante faux mais qui touche juste !