QUINZAINE DES RÉALISATEURS 2018
Premières amours clandestines
Arantxa Echevarría travaille dans le cinéma en tant que scénariste, réalisatrice, mais aussi productrice. Son court Panchito a récolté près d’une vingtaine de prix dans le monde entier. Pour son premier long métrage, elle a choisi de se pencher sur l’histoire d’un premier amour. “Ce n’est jamais facile car cela arrive généralement à l’adolescence, alors que vous n’avez pas encore votre place dans ce monde et que vous cherchez à vous définir en tant qu’individu. Et c’est une histoire d’autant plus difficile qu’elle a lieu entre deux jeunes gitanes.” Le processus d’écriture a été assez court, le scénario étant prêt en trois mois. Mais un long chemin restait encore à faire. “J’avais besoin de m’imprégner de la culture tzigane pour raconter cette histoire avec vérité et respect. Je devais rencontrer ces filles qui avaient besoin d’une voix car elles n’en avaient pas. Mais les trouver était compliqué à cause des tabous liés à leur culture.” Même problème pour trouver les interprètes des deux héroïnes. “Dans le monde rom, les gens ont peur de ce que la communauté peut penser de vous, or je cherchais des adolescents qui auraient le courage d’incarner des personnages homosexuels. J’ai pensé par moments que je ne pourrais pas tourner car je ne trouvais personne. Et à la fin, alors que j’étais au bord du désespoir, je les ai trouvées. Deux jeunes filles avec un passé chargé, mal mariées, particulièrement déconsidérées dans la communauté rom et qui n’avaient rien à perdre”. Le film a été tourné en mai 2017 à Madrid, où les communautés gitanes vivent de façon plus repliée que celles du Sud du pays, mieux intégrées dans la société.
C’est un grand classique du cinéma, de la littérature et de la vie tout simplement : les histoires d’amour contrariées par les soi disant bonnes mœurs, montrées du doigts par l’ordre établi, vilipendées par la majorité dominante. Qu’ils soient issus de communautés différentes qui ne se mélangent pas, qu’ils soient du même sexe ou que la différence d’âge qui les séparent soit abyssale au yeux des autres, les amoureux, pourtant, n’auront de cesse d’écouter les élans de leurs cœurs parce que renoncer à l’amour vrai est bien pire que toutes les punitions, bien plus douloureux que tous les bannissements.
C’est donc l’une de ces histoires qui nous est ici racontée mais si l’intrigue peut sembler familière, l’univers dans lequel elle se déroule lui donne une dimension extraordinaire.
Carmen et Lola sont toutes deux issues de la communauté gitane madrilène, un microcosme portant ses règles, ses codes et ses traditions comme un étendard, sans qu’aucune remise en question ne puisse être imaginable. Ici, chez les gitans, les femmes sont faites pour servir, pour enfanter et pour aimer leur homme et leur famille. Dès leur plus jeune âge, elles sont dressées pour cela : être belles, être mères, la casserole dans une main, les robes à paillettes dans l’autre. On prépare les filles, à grand renfort de diadèmes et de talons aiguilles, à se marier à 16, 17 ans avec un lointain cousin.
Carmen est destinée à reproduire ce schéma qui se répète depuis des générations et elle a déjà son fiancé, à peine plus âgé qu’elle. Carmen travaille sur les marchés avec son père et n’a rien à redire à cette vie toute tracée que les hommes, avec la complicité silencieuse des femmes, ont choisie pour elle.
Mais pour Lola qui vit à quelques rues de là, c’est une tout autre histoire. Si elle se plie docilement aux règles de la communauté – les réunions à l’église, les préparations festives, le marché avec son père, la vaisselle –, elle cultive secrètement son jardin intime, peuplé de tout un tas de choses inavouables. Il y a des oiseaux par milliers, ceux qu’elle dessine sur ses cahiers d’écolière, ceux multicolores qu’elle graffe à la bombe sur les murs de son quartier, il y aussi l'envie d’étudier, de devenir enseignante, il y a enfin cette attirance pour les filles qu’elle a depuis longtemps acceptée mais qu’elle ne peut avouer à personne.
Quand les deux filles se croisent, c’est un lien doux et complice qui se crée. Elles se retrouvent au marché pour aller fumer loin des parents, elles rient, elles parlent et se racontent. Mais Lola déjà a le cœur en flammes et ne rêve que d’une chose : déployer ses ailes et entraîner Carmen dans son envolée.
Le premier mariage lesbien a été célébré en Espagne, à Grenade, en 2009. Les épouses, gitanes, avaient raconté dans la presse le rejet dont elles ont fait l'objet dans leur communauté dès leur liaison connue. Ce film est un hymne à l’amour autant qu’une critique sans concession de l’intolérance des esprits qui sévit encore, malgré toutes les avancées juridiques. Si le récit est parfois cruel, ne taisant rien de la violence de cette société patriarcale, il sait aussi dire la beauté charnelle, la joie vive, les chants, les danses et la fraternité qui rythme la vie de cette communauté.
Les deux comédiennes, toutes deux gitanes et non professionnelles, impressionnent par la justesse de leur interprétation et irradient le film de leur beauté, leur naturel et la grâce qu’elles parviennent à distiller dans chacun de leurs gestes. Leur histoire d’amour est belle et universelle et touche au cœur…