Un opus inédit du réalisateur chinois Wang Xiaoshuai, réalisateur des pépites Beijing Bicycle et So long my son, qui nous arrive dix ans après sa présentation cannoise en 2010. Projeté en compétition, il avait reçu un accueil chaleureux, avant de disparaître inexplicablement des radars…
Chongqing blues raconte, sous la forme d’une « enquête », l’histoire d’une fêlure, celle vécue par un marin qui a laissé derrière lui femme et enfant, avant d’apprendre la mort de celui-ci. C’est en parallèle l’immersion dans l’une des villes principales de l’intérieur de la Chine, point de départ pour la visite des trois gorges. À Chongqing, « Capitale du brouillard » de la province du Sichuan, il est rare de voir le soleil. On entre dans la ville et dans le film par un téléphérique urbain, pour traverser le fleuve et s’immerger au milieu des imposantes tours d’affaires et des HLM anonymes. Le centre-ville tentaculaire laisse peu à peu place à la vie de tous les jours, les rues qui grouillent de monde, pour se focaliser sur les personnages s’activant sous un ciel plombant, teinté d’une nappe bleue mélancolique.
Lin a été beaucoup absent, il travaillait sur le fleuve et voguait souvent longtemps loin de la maisonnée. Il a quitté depuis belle lurette la grande ville pour créer un nouveau foyer ailleurs, en bord de mer, sans plus donner de nouvelles. C’était il y a 15 ans. Mais à Chongqing, son fils, le jeune Lin Bo, est mort, abattu par la police. Et le père veut comprendre. Il a peu de souvenirs, pas de photos : seulement la vidéo d’une caméra de surveillance et des coupures de journaux pour reconstituer l’histoire d’un fait divers qui a mal tourné, dénouer les fils des événements et tenter de « reconstituer » son fils pour le retrouver. Fausse enquête, mais vraie quête, Lin le père nous embarque dans un mouvement permanent. Déambulations sac à dos sur l’épaule, changements de lieux, de personnages, ici un commissariat, là un atelier de couture, un parc… L’homme, qu’aucun refus ne semble rebuter, demande, redemande, acharné, revient sans cesse à la charge auprès de la mère ou de ceux qui se taisent. « Si je pars sans rien savoir, je ne pourrai plus me supporter », lance Lin à son ex-épouse. Le rythme et l’énergie bouillonnante de cette femme pleine de colère tranchent face au calme et à la détermination du père. Plusieurs scènes usent de ce paradoxe : le calme apparent et le débordement d’émotions.
Successivement, Lin va recueillir les témoignages de l’entourage de son fils : l’ex-petite amie, la mère, le meilleur ami, le compagnon de travail, le docteur-otage, chacun l’a connu et côtoyé à sa manière et raconte son histoire. Les vivants évoquent le mort, construisent comme un patchwork où les événements se recoupent mais où toutes les interprétations sont possibles. On s’imprègne du fils à travers la quête de son père. On se faufile dans l’histoire d’une vie à travers les autres. Lin, le cœur ouvert, reçoit, engrange et encaisse : il ne fera pas l’économie de ce qu’il découvre à la fois sur son fils et sur lui-même.
On ne lâche pas d’une semelle le personnage principal, dans sa course aussi calme que furieusement déterminée. Le titre de ce beau film n’est pour sûr pas anodin : le blues, c’est celui du brouillard, du manque d’air et de couleurs, mais c’est aussi celui qui règne sur l’âme du père. Le titre original chinois, Rizhao Chongqing, évoque la ville de Rizhao, où se rendent finalement les jeunes et où habite désormais le père. « Rizhao » signifie aussi « ensoleillement ». C’est ce petit rayon de soleil sur Chongqing, avec l’image du père qui, apprivoisant progressivement sa vie, son passé et son fils, fait entrer un peu de soleil dans le brouillard.