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Comment raconter efficacement, sans tergiversations inutiles ni raccourcis simplificateurs, l'émergence de l’extrême droite, et de ses petits soldats, son apparente et hypocrite métamorphose au moment où rien ne semble devoir endiguer son succès grandissant ? Comment montrer sans clichés le parcours, depuis la fin des années 80, de ces petits nazillons avides de ratonnades et voyant dans la Shoah un détail de l'histoire, et qui pour certains réussissent à faire croire à des millions de français, trente ans plus tard, que leur parti porte des valeurs républicaines ?
Diastème, journaliste, écrivain, dramaturge, cinéaste… choqué notamment par la mort du jeune Clément Méric, répond à ces questions par un film prenant et perturbant. À travers une fiction très documentée, il suit plusieurs représentants de ceux que l'on appelait skinheads, dont les premières bandes sont nées à la fin des années 80. Des gars bas du front, souvent d'origine ouvrière (mais pas que), tels qu'en côtoyait Diastème dans sa banlieue d'origine. Des mecs au racisme et à l'homophobie assumés : alors que les revendications des populations issues de l'immigration se faisaient entendre avec la Marche contre le Racisme, alors que les communautés homos se rendaient visibles, ils laissaient exploser leur haine contre tous ceux qu'ils détestaient, gauchistes, pédés, rebeus ou blacks, leurs ennemis déclarés étant les punks et les redskins – en Angleterre, le mouvement skin étant au départ un mouvement prolétaire et musical plutôt de gauche avant d'être dévoyé par les néo-nazis.
À la fin des années 80 donc, les rues des grandes villes françaises deviennent des terrains de chasse et de baston alors qu'arrive en embuscade, à l'occasion des élections de 1988, le Front National, qui va exploiter tous ces garçons débordant de testostérone. Diastème s'attache particulièrement aux pas de Marc Lopez, un jeune gars qui vit avec une mère éteinte et malade et un père alcoolique dans un triste appartement HLM et qui trouve une seconde famille dans la bande de brutes dirigée par le charismatique Braguette. Avant de s'en écarter peu à peu. Marc Lopez est incarné par l'impressionnant Alban Lenoir, dont la métamorphose est assez stupéfiante au fur et à mesure que la haine l'abandonne, quand l'âge le rend plus serein.
Le film a l'intelligence de ne pas user du ressort trop facile de la rencontre décisive qui fait changer du jour en lendemain le personnage. Il présente plutôt une succession d'épisodes qui font naître le doute, qui correspondent à des moments précis et historiquement exacts : le meurtre en 1990 d'un malheureux Africain contraint de boire du Destop, ou encore, en 1995, la noyade de Brahim Bouarram, jeté à la Seine par des skins en marge du cortège du Front National… A travers le parcours de Marc, Un Français analyse intelligemment l'évolution du milieu, la récupération de ses éléments les plus présentables par le FN et ses cadres de la haute bourgeoisie – qui tentent dans le même temps de se débarrasser des énergumènes les plus incontrôlables –, jusqu'au recyclage actuel de nombre de ces ex-nazillons dans la Manif pour tous et la nouvelle extrême droite décomplexée.
Sans haine ni caricature envers ses personnages – pourtant peu sympathiques, évidemment ! –, Diastème signe l'équivalent français de l'excellent This is England de Shane Meadows (ardemment défendu chez nous en son temps) et nous amène à regarder le mal en face dans toute sa banalité, tout en portant un vrai message d'espoir. La France regorge sans doute de Marc Lopez que des rencontres, des échanges, une prise de conscience progressive peuvent réveiller.