2.5 | 3 |
Brillante Mendoza est l'un de ces réalisateurs qui semble faire du cinéma par nécessité absolue tant ses films témoignent de la situation d'un pays, au-delà des récits personnels, petits ou grands. Toujours surgissent, derrière l'histoire qu'il raconte, des moments, des réalités parfois difficiles, la situation d'une ville, la débrouille de ses habitants. La solidarité aussi.Taklub s'inscrit tout à fait dans cette démarche mais de manière plus frontale encore, puisque le film s'attache à raconter un épisode particulièrement tragique : l'après typhon Haiyan, qui a dévasté la ville de Tacloban aux Philippines en 2013.
Le film commence par un incident dramatique, avant même qu'on ait pris conscience de l'ampleur du désastre lié au typhon : un incendie. Nous n'avons pas pu apprécier la situation que nous sommes déjà dépassés par l'urgence du moment. Peu à peu, on comprend que c'est une tente d'un camp de fortune qui est en feu. Panique, entraide… tout va très vite… rien à faire… drame sur drame, cette famille qui avait été épargnée par le typhon est aujourd'hui touchée par les flammes…
Mais point de pathos : dès le lendemain, la communauté s'organise et des initiatives de soutien surgissent d'elles-même. Le film suit les déambulations de plusieurs personnages. Bebeth tient une cantine de fortune avec sa fille. Elle recherche ses enfants qui probablement n'ont pas survécu à la catastrophe. Mais elle organise également une collecte pour aider la famille touchée par l'incendie, elle fait la cuisine pour la communauté, s'enquiert en permanence de ses voisins et proches. Larry, veuf, s'investit dans un groupe religieux qui récolte des fonts pour aider les survivants. Il participe à porter une croix au milieu des tentes, le tout sans réussir vraiment à se défaire de la culpabilité de n'avoir pas réussi à protéger sa femme. Erwin et son frère prennent en charge leur petite sœur et apprennent à vivre sans leurs parents…
Tout ça est montré de manière quasi documentaire : l'image est très réaliste, les acteurs se fondent dans le décor, dans la foule, les couleurs sont sourdes pour correspondre à l'atmosphère des lieux, et le film raconte ainsi, au plus près du quotidien, l'histoire de ces personnages et la manière dont ils parviennent à faire leur deuil. Le décor est là, post-apocalyptique, mais sans surenchère spectaculaire. Ce sont des bateaux énormes échoués au milieu des ruines, des débris surplombés par des habitats de fortune… Cette réalité à laquelle le réalisateur ne semble pas prêter attention (c'est simplement là) nous saute aux yeux et rend compte d'une situation qui ne nous est jamais rapportée par les médias. La force du film est là : nous montrer la vie qui reprend après la catastrophe alors que le traitement médiatique fait que, une fois l'émotion de la catastrophe passée, nous ne revenons jamais sur les lieux.
C'est probablement (et paradoxalement) l'une des œuvres les plus optimiste de la filmographie de Mendoza : là où des films comme Kinatey et Lola mettaient en avant une violence sociale protégée par un régime corrompu, Taklub raconte une forme de « lâcher prise » face à la fatalité de la situation. La population, malgré les difficultés terribles qui l'accablent, a le réflexe de se rassembler pour affronter ensemble le quotidien et amorcer la reconstruction.
Travailler sur un drame comme celui-ci sans jamais mettre le spectateur en position de voyeur, toujours garder une distance respectueuse vis à vis de ses personnages… C'était probablement le meilleur moyen de rendre hommage aux victimes et c'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont poussé Brillante Mendoza a réaliser ce film. Cette distance crée une émotion toute particulière et rend les personnages extrêmement attachants. Car ce qui ressort du film, c'est important de le souligner, c'est la vie qui suit son cours, qui s'adapte, se réajuste et trouve des solutions jour après jour.