3 | 2.5 |
C'est un splendide et bouleversant documentaire sur l'universalité du deuil, qui transcende les différences culturelles. Un film formidable sur la recherche par une femme de son histoire familiale morcelée, fragmentée par les séparations, les incompréhensions et les milliers de kilomètres.
Au début du film, nous sommes au cimetière parisien du Père Lachaise. Akiko Gaisseau, franco-japonaise, est venue de Tokyo pour récupérer les cendres de sa mère Kyoko. La quadragénaire, un peu désemparée, retrouve dans l'appartement maternel des traces de ces fragments de vie un peu étrangers depuis que mère et fille avaient décidé de vivre leur vie très loin l'une de l'autre. Elle déniche entre autres un journal écrit par sa mère à partir des années 60, quand elle était une jeune japonaise cinéphile et indépendante rêvant de Paris, de sa vie trépidante et libre et de sa Nouvelle Vague. C'était peu avant la rencontre avec Pierre-Dominique Gaisseau, grand documentariste un peu oublié – alors même qu'il remporta un Oscar en 1962 pour un documentaire ethnographique exceptionnel tourné dans une Nouvelle Guinée encore quasi méconnue des Occidentaux – qui deviendra le père d'Akiko.
Que faire des cendres de Kyoko ? Akiko a choisi de les rapatrier au pays natal. Pour les confier à la famille, vivant encore pour l'essentiel à Hiroshima, la ville martyre ? Ou pour les disperser ? Les deux réalisateurs du documentaire, amis d'Akiko, décident, un peu sur un coup de tête et surtout persuadés – à raison – de tenir là un beau récit cinématographique, de suivre la fille endeuillée dans ce voyage étrange et troublant. Un voyage ponctué par la lecture du journal de Kyoko et d'images d'archives se superposant intelligemment, comme un souvenir effacé qui prend vie au fil du parcours initiatique de la fille. Un voyage parfois drôle quand Akiko, bien que vivant depuis seize ans à Tokyo, est prise en faute de totale méconnaissance des rituels traditionnels japonais : le bonze chargé d'assurer le bon déroulement du rite funéraire se retrouve désemparé face à des cendres où il ne reste plus d'os, contrairement à la tradition japonaise… Ou encore quand elle est un peu chahutée et moquée par les participants à une soirée en mémoire de sa mère.
Car le voyage nous entraîne aussi au cœur d'une histoire familiale tourmentée et marquée par l'Histoire. Kyoko a vécu son enfance à proximité d'Hiroshima dont n'est jamais revenue sa grande sœur un jour d'Août 1945. On ne peut s'empêcher de penser à Marguerite Duras et Alain Resnais et leur Hiroshima mon amour. Et de fait le cinéma tient un grand rôle dans cette histoire. Kyoko, jeune actrice un peu fantasque, avait joué de manière fugace dans Made in USA de Godard et entretenu une correspondance avec Truffaut. Dans Domicile Conjugal, Antoine Doinel s'éprend d'ailleurs d'une certaine Kyoko… et on peut évoquer aussi la fascination pour le Japon du Chris Marker de Sans soleil ou Le Mystère Koumiko. Et la lecture du journal de Kyoko parcourt tout cela. Avec ses déceptions : Kyoko a toujours eu l'impression de rester aux yeux des ténors de la Nouvelle Vague une sorte d'idéal fantasmatique de la japonaise soumise… Heureusement elle a rencontré le père d'Akiko…
Au fur et à mesure du déroulement de l'histoire, entre cérémonies funéraires et enquête parfois infructueuse sur le passé de Kyoko, Akiko reconstruit au-delà de la mort la relation distendue avec sa mère pour mieux avancer dans sa nouvelle vie. Et c'est très beau.