Ce gosse-là, pas bien haut sur pattes, a déjà toute l'attitude d'un petit mec : râblé, bien planté, ll semble porter sur ses épaules toutes les désillusions d'un monde qu'il observe avec un regard noir, rebelle, sans jamais esquisser un sourire. Entre Pris (sans doute un diminutif de Priscilla ?), sa mère, éternelle immature, et Duke, son compagnon, qui ne l'est pas plus (mature), c'est Jimmy qui fait figure d'homme de la famille malgré ses treize ans. C'est lui le garant des repères de la maisonnée. Lui qui veille sur son petit frère Kevin, le lave, l'envoie se coucher, l'oblige à respecter les horaires. Lui qui fait le ménage indispensable, les courses, la popote et qui galère le lendemain à l'école parce qu'il a oublié de faire des choses pour lui-même, notamment ses devoirs. Sans compter les bringues qui durent une partie de la nuit. Au petit matin, il faut louvoyer parmi les bouteilles vides et les vestiges laissés par des adultes qui n'ont pourtant plus l'âge de jouer les adolescents attardés… Jimmy semble vivre une enfance peu digne de ce nom et pourtant tout n'est pas sombre ! D'abord, Pris sait être lumineuse quand elle est en état, et c'est clair qu'elle aime son fils à sa manière de grande môme larguée par la vie. Même si la plupart du temps, c'est plus Jimmy qui veille sur elle que l'inverse. Et puis il y a ce drôle de ouistiti enthousiaste qu'est Kevin, qui voue à son grand frère une admiration inconditionnelle… qui peut devenir envahissante quand Jimmy veut partir frayer avec les grands de son âge, en particulier avec cette jolie camarade de classe qui l'émeut tant. Et il y a encore tous les autres adultes qui l'entourent et qui posent sur lui un regard compréhensif doublé d'impuissance. C'est l'instituteur, qui ne s'attache pas à le punir mais tente patiemment de lui insuffler un peu de confiance. C'est la grand-mère (géniale) qui, avec ses modestes moyens, accueille, écoute, participe à l'équilibre des gosses sans jamais empiéter sur le domaine de sa fille, se gardant de tout jugement. C'est ce prof de tennis qui observe les gamins en déshérence durant un trop long été (c'est le réalisateur lui même qui endosse le rôle : vous en comprendrez l'importance peu à peu). Si ce film n'est pas une autobiographie, il est du moins une belle main tendue à la propre enfance de Philippe Claudel à Dombasle-sur-Meurthe où il a grandi, à ses habitants. C'est tout un tissu de solidarité qui se tresse sans grandes démonstrations mais qui devient peu à peu évident, dans lequel il nous immerge, auquel il participe. D'une très belle manière la petite ville devient un personnage primordial de cette fiction. On la sent respirer à travers ses étendues de verdure qui viennent s'échouer au pied des maisons ouvrières en rang d'oignons. Quand elle repart minauder du côté des maisons bourgeoises, jadis occupées par les contremaîtres, ses crassiers la ramènent vite à la fragilité de la condition humaine. De son côté la zone industrielle presque moribonde prend des allures de tragédienne noble et fière tandis qu'une guinguette timide tente de faire renaître l'ambiance festive et conviviale d'autrefois. À l'arrière plan on voit se dérouler tout un pan d'histoire du monde ouvrier. Et comme la grand-mère, on se prend à regretter la piscine naturelle où tous venaient se mélanger. Comment les puissants, les pouvoirs publics ont pu laisser tout cela à l'abandon ? Pris, Duke, Kevin, Jimmy… des prénoms qui semblent tout droits sortis des mauvaises séries américaines dont les abreuve la télé entre deux scandales financiers à la sauce Cahuzac. Pas étonnant qu'il y ait parfois de quoi se tromper d'ennemi. Et on voit bien comment un gamin élevé dans ce contexte peut devenir prêt à tout pour s'en sortir… Il y a longtemps que je t'aime, Tous les soleils et maintenant Une enfance… de bien jolis films de Philippe Claudel…