« Quand l’horloge indique qu’il est une heure, les squelettes partent en goguette… chúmbala ça chúmbala ça chúmbala »… chantonne une petite voix guillerette. Lancinante comptine enfantine qui va donner le « la » à cette histoire empreinte des joies et des nostalgies de l’enfance.
« … À deux heures, les squelettes mangent un biscuit… chúmbala ça chúmbala ça chúmbala » continue de fredonner Leo du haut de ses 5 ans dans le bus longue distance qui le conduit avec son grand frère Max et sa mère Lucia loin de leur Mexique natal, vers les États-Unis, comme tant de migrants avant eux. Si l’Amérique est pour Lucia synonyme de travail, de nouveau départ, pour la fratrie, ce nom évoque avant tout la féérie de Disneyland. Pour atteindre cet Eldorado des super héros, les deux mioches se montrent prêts à toutes les concessions, à l’obéissance absolue envers leur mère qui leur promet de les y emmener… mais quand ? C’est d’abord une tout autre épopée, pleine de bouleversements, qui les attend. Trouver où se loger à bas coût, puis des moyens de subsistance, apprendre les rudiments d’une langue et des mœurs tellement étrangères. Si Léo avale sans broncher ce que lui disent les adultes, Max, qui a déjà l’âge de raison et la maturité de ceux que la vie fait trop vite grandir, va progressivement commencer à douter de la parole maternelle et comprendre qu’elle n’a guère les moyens de tenir des promesses hors de prix.
Mais la vie n’en est pas moins émaillée de moments de pur bonheur, de parties de rire qui font oublier la misère du quotidien répétitif, de la moquette à la propreté douteuse, du voisinage peu engageant. Lucia se démène pour se faire une vie et la rendre belle à ses deux loupiots. Elle part tôt, rentre tard pour ramener une maigre pitance, des sourires fatigués. On l’imagine corvéable à merci, comme tant de travailleurs précaires. Elle laisse ses fistons, en essayant de dissimuler son inquiétude, avec pour seul compagnon un magnétophone sur lequel elle enregistre des leçons d’anglais, des historiettes, les règles de bonne conduite, la consigne la plus stricte étant sans doute celle de ne jamais sortir du minuscule appartement enfin trouvé. Ce sont alors de longues heures d’enfermement, d’attente, l’apprentissage de la patience, de la solitude et… de la solidarité. Entre les deux mioches, dans cet espace rétréci, il n’est plus question de se chamailler et l’on assiste à la naissance d’une grande complicité fraternelle. Les petits riens de tous les jours, les gestes anodins prennent progressivement une autre dimension, tissent la trame invisible d’un monde à part, rempli d’évasion et de rêves. Voilà nos deux oisillons investis de super pouvoirs, transformés en loups ninja, en attendant le retour de celle qui les protège jalousement comme une louve solitaire. Autour d’eux le monde grouille, foisonne. Si les deux frères respectent au début scrupuleusement les consignes, toujours plus nombreuses, les tentations vont se multiplier de se rebeller du bout des lèvres, en toute clandestinité, de s’ouvrir à ce bouillonnement qui frappe d’abord discrètement et puis avec de plus en plus d’insistance à leur porte…
Los lobos (les loups…) est une invitation chaleureuse et vivante à partager le voyage initiatique de Max qui progressivement s’émancipe, découvre un nouvel univers, construit le sien propre, organique, plein de tintinnabulantes notes d’espoir, de poésie lucide. Il y a tant de mystères à percer, tant de choses incomprises, notamment celles qui surgissent dans les vestiges du passé, quelques notes de guitare, un père dont le seul souvenir est une photo sur une carte d’identité. «… chúmbala ça chúmbala ça chúmbala… à trois heures les squelettes dansent à l’envers… puis retourneront d’où ils sont venus… »