3.5 | 4.5 | 3.25 |
Il serait dommage de ne voir dans cet excellent thriller tourné en Colombie qu'un énième récit de trafic de drogues, dans un pays connu trop longtemps pour cette spécialité. Manos sucias n'est pas un film de genre mais plutôt une tragédie dans laquelle les deux personnages principaux suivent inexorablement un destin sur lequel ils ont peu de prise. Le théâtre de cette tragédie est Buenaventura, un port maritime de la côte pacifique colombienne où les habitants peinent à survivre des activités traditionnelles. Les jeunes y traînent leur ennui et canalisent leur énergie entre autres dans la « choque », cette danse particulièrement explicite où l'on se percute le bassin au rythme du reggaeton. On est bien loin de Bogota, aussi blanche et moderne que Buenaventura est noire (la plupart de ses habitants sont issus des populations d'esclaves) et laissée à l'abandon. La ville peut « s'enorgueillir » d'un des tristes records mondiaux de criminalité (24 fois supérieur à celui de New York), à l'opposé de sa voisine Cali, pourtant proche, de l'autre côté de la Cordillère. Buenaventura, c'est la ville où on peut commanditer un meurtre pour quelques dizaines d'euros… Et bien évidemment, si on veut gagner quelques sous, il y a toujours quelques malfrats pour vous proposer une mission, aussi illégale que dangereuse. C'est comme cela que Jacobo et son jeune frère Delio vont se retrouver au gouvernail d'une barcasse, à remorquer, arrimée à la proue, une torpille bourrée de cent kilos de cocaïne pour une livraison bien plus au nord. Le boulot s'annonce au demeurant assez simple : la torpille est équipée d'un GPS et, au moindre problème, ils ont juste à défaire le crochet, à se délester de la torpille qui pourra facilement être retrouvée plus tard. Mais ce qui devait être un cabotage tranquille, le long d'une jungle littorale où l'on peut aisément se cacher, va s'avérer un cauchemar grandissant : contrôle inopiné de militaires corrompus, pétage de plombs d'un troisième larron ultraviolent, vol de la torpille par un pêcheur qui voit à tort dans cette occasion la chance de sa vie et qui va obliger nos deux frères à s'enfoncer fissa à l'intérieur des terres… La mise en scène du jeune réalisateur Josef Wladika – nationalité américaine, père polonais, mère japonaise, c'est son premier film – est tendue à souhait, joue parfaitement du contraste entre le calme trompeur de la mer et la noirceur de la jungle environnante, jalonnée de petits villages miséreux reliés par une voie ferrée empruntée par d'étranges chariots tractés par des motos sur rails… Mais surtout, par le biais d'une intrigue haletante, le réalisateur, qui a décidé de tourner son film après avoir découvert le sort peu enviable des pêcheurs de la côte pacifique, décrit avec une grande force les maux endémiques de la Colombie et des régions environnantes : la survie à tout prix, le racisme structurel entre populations noires et celles d'origine espagnole, lutte sans merci que se livrent l'armée, les paramilitaires, psychopathes coupables d'exactions innombrables sur les populations civiles, et les FARC.