Peu d’entre nous avaient entendu parlé du territoire du Haut-Karabagh avant la reprise du conflit fin septembre dernier. Nora Martirosyan, réalisatrice d’origine arménienne, encore étudiante lors du premier conflit au Haut-Karabagh au début des années 90, nourrit l’élaboration de ce film depuis une dizaine d’années. La situation préoccupante qui saute aujourd’hui aux yeux de la communauté internationale prend ses racines dans des décennies d’histoire du peuple caucasien et ce film nous en fait comprendre les enjeux avec une grande humanité. Plus encore, il nous mène à la rencontre de ses habitants, animés d’une inépuisable force de vie en dépit des guerres passées et les menaces constantes, se faisant ainsi l’écho de leurs espoirs pour que la paix et l’autonomie leur soient enfin accordées. Symbole de cette indépendance, l’aéroport de leur capitale Stepanakert n’est toujours pas autorisé à voir décoller ou atterrir des avions sur ses pistes. C’est dans cette affaire qu’Alain, un français chargé de mener un audit international sur la possibilité de valider le fonctionnement de cet aéroport, va se plonger… Il n’existe qu’une seule route terrestre pour rejoindre la capitale du Haut-Karabagh depuis l’aéroport le plus proche. Huit longues heures de voiture sillonnant, certes, de magnifiques paysages montagneux, mais c’est fatigué qu’Alain arrive enfin à Stepanakert. Le trajet lui aura permis une chose : mesurer l’isolement géographique de ce petit bout de territoire, enclavé dans le sol d’un Azerbaïdjan hostile, et coupé d’une Arménie amie à laquelle il a parfois réclamé son rattachement avant de proclamer son indépendance au moment de la dislocation du bloc soviétique. Aujourd’hui, le Haut-Karabagh a une constitution, un président, une assemblée, mais la communauté internationale ne reconnaît pas son existence. Le Haut-Karabagh s’est aussi doté d’un aéroport, curieux petit écrin flambant neuf, comme sorti prodigieusement de terre. Il fait la fierté de son directeur qui accueille Alain en bienfaiteur, sûr que cet audit va enfin permettre à son aéroport de fonctionner et donc à la communauté internationale de les reconnaître. Méthodique et impartial, Alain se met au travail et ne tarde pas à trouver quelques points litigieux. Notamment la proximité de la ligne de cessez-le-feu avec l’Azerbaïdjan qui ne doit pas être survolée et qui empêche les avions d’accéder facilement aux couloirs aériens. Il y a aussi ce petit garçon qu’il voit régulièrement porter des bidons d’eau près des pistes. Seirane, le chauffeur d’Alain, le connaît : c’est un gamin qui fait un petit commerce d’une eau qu’il prétend miraculeuse. Il traverse l’aéroport pour éviter de faire un détour de plusieurs kilomètres. Les jours passant, Alain s’imprègne des paroles des habitants, écoute leurs histoires et peu à peu mesure la part politique et humaine de ce qu’il considérait jusque là comme un dossier purement technique. L’idée d’avoir placé un regard étranger – celui d’un français, qui plus est – au centre de ce récit n’est pas anodin. Le spectateur et le personnage principal, auquel Grégoire Colin confère une élégance ténébreuse, avancent du même pas dans l’exploration de ce territoire méconnu. Pour Alain, le plus difficile sera de mettre de côté son pragmatisme occidental pour s’ouvrir à la culture des habitants du Haut-Karabagh. Enfant, chauffeur, personnel d’aéroport, ancien soldat ou journaliste : si tant de tragédies jalonnent leur histoire, tous restent portés par l’espoir. Eux croient en leur émancipation et en leur existence. Eux croient en ce que personne d’autre ne voit. Les forces de l’imaginaire sont parfois supérieures aux réalités admises.