Festival de Cannes 2021 : Compétition
Le retour du fils pas prodigue
Red Rocket est le septième long métrage de Sean Baker, 2002-2006) réalisateur indépendant américain devenu culte auquel on doit la série Greg the Bunny (2002-2006) et deux films particulièrement remarqués: Tangerine (2015), prix du jury au Festival de Deauville, et The Florida Project (2017) qui a obtenu plus d’une soixantaine de récompenses. Remarqué pour Flour-Letter Words (2000) et Take Out (2004), qu’il a coréalisé avec Tsou Shih-Ching, il a reçu par ailleurs le prix du public du Festival Entrevues pour Prince of Broadway (2008) et le prix du jury jeune du Festival de Locarno pour Starlet (2012). C’est avec son complice Chris Bergoch, auquel il est fidèle depuis sa contribution à l’émission de télévision humoristique Fur on the Asphalt: The Greg the Bunny Reunion Show, qu’il a écrit son nouveau film. Le personnage principal en est un acteur de porno déchu qui, revenant dans sa petite bourgade du Texas, se retrouve confronté au puritanisme et à la vindicte publique. Un rôle incarné par Simon Rex, un acteur qui a lui-même débuté dans l’industrie du cinéma pornographique. Face à lui, la chanteuse Suzanna fait ses débuts au cinéma. Red Rocket sera distribué par le Pacte.
Dans la catégorie loser même pas gentil, voire plutôt bad guy, Mikey Saber se pose un peu là ! Quadragénaire beau gosse mais sans le sou, il revient de Los Angeles où sa carrière hollywoodienne dans le porno a tourné court, et le voilà de retour à Texas City, port pétrolifère pas folichon du golfe du Mexique, la queue basse (c’est de circonstance vu son ancien métier), avec juste un marcel sur le dos et quelques dizaines de dollars en poche, sans trop savoir où se poser. Sans vergogne (ce qui sera sa ligne de conduite tout le long du film), il va frapper à la porte de son ex-compagne depuis longtemps oubliée, dont on comprend vite qu’elle est une ancienne partenaire de tournage désargentée, qui vit avec sa mère addict aux antidouleurs.
La dame ne semble pas ravie des retrouvailles mais finit par céder aux manœuvres de séduction de Mikey, ainsi qu’à ses promesses financières (qui n’engagent que celle qui les écoute) de participation aux frais quotidiens. Le bougre va redevenir un petit dealer local, approvisionnant les jeunes désœuvrés du coin et les ouvriers de la raffinerie. Malgré son ex-femme qui retrouve bien malgré elle des sentiments pour lui, il va se laisser foudroyer d’amour par une petite vendeuse rouquine de donuts, à peine sortie de l’adolescence mais passablement délurée, sorte de Baby Doll texane, qu’il va tout de suite imaginer comme future star du cinéma X, dont il pourra tirer profit.
Aussi amoral et exécrable que soit le personnage, Sean Baker et son atypique acteur Simon Rex (lui même brièvement acteur X dans sa jeunesse, avant de devenir présentateur MTV, acteur dans trois épisodes de la parodie horrifique Scary movie et rappeur célèbre) parviennent à rendre Mikey aussi pardonnable et drôle que pathétique, tant son ingénuité adolescente, son optimisme démesuré dans un avenir improbable, son sans-gêne et son baratin inépuisable (les dialogues aux petits oignons sont particulièrement savoureux) apparaissent déconcertants.
Tout comme dans Florida project, son précédent film, qui faisait le portrait de personnages laissés pour compte dans un motel miteux en marge de l’immense parc de Disney World, Sean Baker brosse avec un humour corrosif cette Amérique que l’on soupçonne un peu trumpienne (l’action se déroule pendant l’été 2016 des élections), avec des personnages secondaires désopilants, comme ce faux vétéran totalement foireux qui monnaie ses prétendus faits de guerre, tout en se laissant entrainer par Mikey. Mais surtout Baker a un talent fou pour mettre en scène les espaces incongrus, comme il l’avait fait dans Florida Project, avec ici les maisons de guingois des rednecks texans, qui passent leurs journées dans l’été caniculaire et poisseux sur des canapés tanqués à l’extérieur, dans des jardins minables quand ce n’est pas sur un bout de trottoir, à quelques mètres de l’immense raffinerie, ou ce magasin de donuts surchargé de couleurs posé au milieu de rien. Les plans de Baker pourraient être des sortes de détournements dégénérés des tableaux de Edward Hopper, où l’Amérique de carte postale en aurait pris un sacré coup. On en redemande !