Une villa « pieds dans l’eau » sur une plage à Marbella, hors saison. Un gars tendu, qui passe un coup de fil, vautré sur un lit, ou fait nerveusement les cent pas d’une chambre à une terrasse en scrutant l’horizon. La lumière est plutôt froide, il passe du cadre d’une porte à celui d’une fenêtre en grillant cigarette sur cigarette. Il se précipite vers la plage à la rencontre de la noria de zodiacs et de fourgons qui s’y sont donné rendez-vous, assiste au déchargement express de centaines de colis, qui sont illico entreposés dans la villa. Le quidam, c’est Hubert Antoine. Les colis, ce sont des tonnes de drogue qui vont filer vers Paris et Amsterdam. Toute l’opération se déroulant sous la férule de Jacques Billard, superflic et patron de l’OCRTIS (Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants), qui est à l’origine d’une nouvelle doctrine : partant du principe que, malgré les saisies à répétition, la drogue arrivera toujours, d’une façon ou d’une autre, sur le marché, il fait le pari d’infiltrer, surveiller et remonter les filières pour priver les trafiquants de leurs moyens logistiques – qui seront pour eux beaucoup plus difficiles à reconstituer. Stratégie qui donne des résultats mais demeure difficilement défendable dès lors qu’elle implique de frayer d’un peu près avec les gros bonnets, d’accompagner voir de protéger les acheminements. C’est à la suite d’un contrôle inopiné de véhicules à Paris, au cours duquel quelques tonnes supposément « sous surveillance » sont découvertes, que le système commence à se fissurer et que les enquêtes conjointes de la presse et de la justice se resserrent autour de Jacques Billard.
Sec, âpre, nerveux, anti-spectatculaire au possible, le film de Thierry de Peretti « d’après une histoire vraie » s’efforce de documenter l’histoire de la façon la plus factuelle possible. Tandis que les investigations de la procureure progressent, Stéphane Vilner, un journaliste de Libération, est contacté par Hubert Antoine (oui, le gars de Marbella du début), ancien agent infiltré de l’Office puis du département de justice américain, et se fait fort de prouver que Billard a transformé l’État en narcotrafiquant. Commence alors un trouble jeu de dupes et de séduction, comme une partie de billard (sic) à double, triple ou quadruple bande, dans lequel chacun semble le jouet ou le manipulateur de l’autre. Aveuglé par la promesse du scoop, le journaliste semble parfois être manipulé par son informateur. Lequel, aussi colérique que lunatique, passablement violent, éventuellement mythomane, pourrait se laisser aveugler par son désir de venger son amitié blessée avec Jacques Billard. Qui lui-même balance entre l’intégrité faite flic et un possible basculement vers le banditisme… Le flou dans lequel les personnages jouent des partitions en permanence faussées est entretenu à merveille par le réalisateur, qui ne prétend à aucun moment apporter de réponse tranchée aux dilemmes politiques et moraux que posent son film. L’État peut-il à bon droit employer des techniques de truands ? Jusqu’où peut aller sa complaisance, pour ne pas dire sa complicité, avec la narco-criminalité ? Bref, comme dit l’autre, « quand on déjeune avec le diable, le manche de la cuillère est-il jamais assez long pour ne pas se compromettre ? »
Le regard de Thierry de Peretti est perçant, et sa mise en scène résolument bluffante. Il parvient, sans effets ni esbroufe, à lier le passé et le présent des différentes histoires jusque dans l’intimité des protagonistes, les différents niveaux de décision et de compréhension, nous guider sans faiblir et sans nous perdre dans les méandres de mécanismes poisseux. Le résultat est aussi inconfortable que passionnant. On est par ailleurs enthousiasmé par un casting en tous points impeccable, au diapason du film, emmené par un tandem (Roschdy Zem, Pio Marmaï) époustouflant.